Avec l’âge ses souvenirs se modifiaient, ils prenaient l’aspect de grands tableaux retournés , un mur immense qui s’étendait vers les deux côtés de l’infini.
Avec l’âge l’étonnement augmentait concernant sa force musculaire sur laquelle il s’était tant appuyé, il n’était pas pour autant meurtri qu’elle s’amenuise. Il n’y avait plus que cet étonnement,et c’est sur celui-ci qu’il s’appuyait le plus souvent possible pour continuer.
Avec l’âge il lui arrivait de se souvenir de nuits suaves durant lesquelles il avait marché auprès d’une jeune fille. Mais il se souvenait avec beaucoup plus de précision de l’humidité de l’herbe que de quoique ce soit d’autre, comme par exemple le prénom de cette jeune fille. Mais il n’en était pas attristé.
Avec l’âge la journée lui paraissait être devenue une version réduite de l’existence toute entière. Aussi s’efforçait-il chaque jour d’agir différemment , oh pas de grandes choses, plutôt de petites presque insignifiantes, de la journée précédente.Chaque jour il modifiait par exemple l’itinéraire pour se rendre à la boulangerie afin d’acheter le pain. Parfois cette légère modification l’entraînait dans des détours surprenants, des rues des ruelles des impasses dont il n’avait jamais eu connaissance et chaque jour ainsi devenait une petite aventure contenant presque la totalité des éléments qui constituent une aventure.
Avec l’âge il relisait ses livres, et il lui semblait souvent qu’il ne les avait pas bien lus. Il redécouvrait des chapitres entiers, le caractère des protagonistes s’épaississait, ou bien au contraire se dégonflaient comme des ballons de baudruche et de plus en plus souvent, un simple mode d’emploi devenait la source de méditations fantastiques.
Avec l’âge, le temps, la luminosité du ciel, les intempéries et les éclaircies devenaient source d’intérêt, et il apprit progressivement à trouver de l’intérêt même pour la plus petite averse comme pour le plus maigre rayon de soleil.
Avec l’âge il regardait toujours les femmes il ne pouvait pas ne pas les regarder, les admirer et il éprouvait toujours le même désir de les étreindre à pleins bras de mordre ou baiser leurs chairs d’imaginer leur chaleur leurs parfums et souvent se superposait à son désir des images de fleurs sauvages dodelinant de la tête sous le vent dans la campagne, dans les champs. Il était heureux d’éprouver encore ce désir, toujours le même toujours aussi puissant, il appréciait le désir désormais pour ce qu’il était tout simplement.
Avec l’âge l’idée de la mort le révoltait de plus en plus elle lui semblait absurde totalement désormais, et il en souriait, car cette colère était bien plus authentique que tout ce qu’il avait imaginé jadis lorsqu’il était jeune et tellement orgueilleux quand l’idée le prenait de palabrer sur la vie et sur la mort.