
« Quand un Émanglon respire mal, ils
préfèrent ne plus le voir vivre. Car ils estiment qu’il ne peut plus atteindre
la vraie joie, quelque effort qu’il y apporte. Le malade ne peut, par le fait
de la sympathie naturelle aux hommes, qu’apporter du trouble dans la
respiration d’une ville entière.
Donc, mais tout à fait sans se
fâcher, on l’étouffe.
A la campagne, on est assez
fruste, on s’entend à quelques-uns, et un soir on va chez lui et on l’étouffe.
Ils pénètrent dans la cabane en
criant : « Amis ! » Ils avancent, serrés les uns
contre les autres, les mains tendues. C’est vite fait. Le malade n’a pas le
temps d’être vraiment étonné que déjà il est étranglé par des mains fortes et
décidées, des mains d’hommes de devoir. Puis, ils s’en vont placidement et
disent à qui ils rencontrent :
« Vous savez, un tel qui
avait le souffle si chaotique, eh bien ! soudain, il l’a perdu devant nous.
— Ah ! » fait-on, et
le village retrouve sa paix et sa tranquillité.
Mais dans les villes, il y a pour
l’étouffement une cérémonie, d’ailleurs simple, comme il convient.
Pour étouffer, on choisit une
belle jeune fille vierge.
Grand instant pour elle[…] »
Extrait de
Ailleurs
Henri Michaux