
Entre les pensées l’espace est-il si vide, si effrayant. Et penser panserait-il les plaies laissées vives, les marques des monstres croisés, entre aperçus, au fond du rien. Que de tels monstres vivent en ce néant, qui sont-ils, d’où viennent-ils, que veulent-ils. Et s’ils n’étaient créés que par les pensées. Par la peur la rage de se trouver toujours anéantis. Murailles. Murs et cloisons qu’on élève. Issus des odeurs de ciment et de chaux. Ingratitude souveraine. Et s’ils n’étaient que flous reflets. Rejetons affolés de la peur, des effrois, prisonniers emmurés, fantômes et autres spectres, victimes d’une incarcération plus ou moins volontaire.
Sauter une ligne, laisser un blanc, mais conserver l’idée du bloc, dépourvu d’alinéa. Et surtout ensuite chercher l’option pour tout justifier. Que le paragraphe s’aligne en lui-même. Surtout pas de lui-même. Qu’il crée ainsi un semblant de cohérence avec le précédent et le suivant. Vienne le jour, la nuit où rien ne sera plus innocent. Tout surgit soudain par bouffés, par flots, et on s’enfonce dans le sol, en quête de racines amies. On voudrait la consolation tout en sachant qu’on ne saura la mériter. Qu’on la conspuera. Paradoxe de vivre ainsi sa mort comme on écrit un paragraphe au sein du blanc, du vide. Une île. Force et fragilité des îles.
D’île en île, naviguer, au travers la brume, on peut les deviner. Masses de mots qui surgissent. Leur imprécision vue d’ici est presque un baume. De ce lieu dans l’entre-deux. Calme irréel, inédit. Comme à mi distance entre ordre et chaos. Œil du cyclone. L’air d’Odin Le Borgne. Naviguer ainsi, errer, d’île en île, toujours animé par le désir et la crainte du naufrage. Infecte toute puissance. Merveilleuse illusion d’omniscience.
Le naufrage désiré, le pire ne serait-il pas de s’installer dans une de ces îles. S’enrouler progressivement dans le cocon tissé d’une invisible araignée, l’évidence, dissimulée dans cette quiétude visée. Visée par qui, par quoi, et dans quel but sinon la tuer. Sans relâche et fausse trêve en finir avec elle. Des paragraphes à l’aspect tranquille, qui filent à la vitesse des balles, dans un silence, une indifférence, étourdissant.
Le meurtre du monstre enfin comme un soulagement. Courte durée, écoute-le glapir. Le cœur se serre de le savoir d’avance et d’effectuer le geste. Cœur d’artichaut, larmes de crocodile. L’inéluctable meurtre qui rend inéluctable le texte. Et l’humain dans sa défaite , de se nourrir, se repaître de son humanité, garde-manger inépuisable. Vautour et demi-dieu, mêlée de plumes et d’os.
Pourtant la plage est là, agréable tout ce sable fin. De le fouler au pied procure du plaisir. Incontestable plaisir. On ne sait qui marche ici dans le bruit des ressacs. C’est un être sans nom, sans titre, il n’est ni plus ni moins plus qu’une suite de paragraphes , un simple texte écrit par n’importe qui.