
Sûrement pas ce que l’on considère important. La mort nous apprend cela non. Elle nous enseigne l’importance de l’anodin, de l’insignifiant. L’important est une distraction, un divertissement que nous inventons lorsque nous sommes par trop débordés par l’insignifiance. On se dit je vais faire une chose importante. Mais c’est un arbitraire. Quand Proust bute sur une pierre disjointe, il comprend cela parfaitement et tente de nous l’enseigner. Mais comme c’est difficile de lire Proust quand on a quelque chose d’important à faire. Quand nous voulons que cette chose rende notre vie importante. Peut-être qu’écrire commence véritablement ainsi, en établissant, à l’occasion d’un faux pas, une connection entre des événements, des choses, des êtres, que nous avions considérés insignifiants, au moment où ils sont advenus. Peut-être qu’écrire commence aussi avec le doute que nous commençons à entretenir vis à vis de ces deux mots, l’important et le non important.
Il ne s’agirait pas d’écrire selon un genre. D’ailleurs la notion de genre en littérature n’est qu’un terme marketing, un mot utilisé surtout par les éditeurs. Et par certains auteurs qui désirent séduire les éditeurs. La littérature est souvent là où on ne l’attend pas. Il n’est pas question de s’en prendre au récit, à la fiction, mais la littérature ce n’est pas cela. La littérature, est-ce le bon mot d’ailleurs. L’écriture est un mot qui va mieux. L’écriture c’est une affaire de temps. Le temps d’écrire et le temps que ce qui a été écrit soit lu. Parfois les deux ne coïncident pas du tout. Souvent. Toujours pour la même raison qu’on ne voudrait retenir que l’important d’un livre, et que nous ignorons souvent ce qu’il est. D’où l’intérêt de relire les livres plusieurs fois, les mêmes livres, ceux qui nous ont laissé une impression d’étrangeté, comme un doute. Peu de romans proposent cela. Il faut que le récit romanesque se cale sur un mouvement de l’écriture qui suit sa logique interne. C’est extrêmement rare. J’ai cité Proust, mais on pourrait citer aussi Cervantes, Melville, Homère, Borges, Joyce. L’important est rarement l’intrigue, pas même les protagonistes. L’important est ce à quoi on ne pense pas quand on lit ces chefs d’œuvre. L’important est le temps de l’écriture, son mouvement, ce voyage qui nous emporte sans même que l’on en soit conscient. On se souviendra de l’histoire des personnages, des divers rebondissements, mais de ce mouvement général, on ne conserve aucune trace. Souvent. Sauf si on commence à écrire. Et dans ce cas c’est tout l’inverse : on perçoit le mouvement de l’écriture avec une acuité extraordinaire, cependant qu’aussitôt l’on désire l’incarner dans un récit des personnages, nous nous égarons.