
Du mucilage visqueux du langage spontané, souvent proche de la poix à force de réduction dans la paresse, la durée, la répétition du même, la facilité cyclique de l’emploi des mêmes mots. Afin surtout ne pas s’aventurer dans l’inconfort. Extraire un esprit, une représentation, unique à la fois par la forme, la netteté, la brillance. Peindre, écrire, sont les moyens choisis pour comprendre cette volonté d’extraction. Au tout début, jeune, par un amour-haine des origines. Pour s’élever au-dessus d’une honte. Honte étant le sentiment premier, forme dévoyée du bel et inaccessible Amour, boiteux Dionysos, sentiment récurrent issu de toute confrontation avec les autres en général . Sans vraiment être vectorisé dans un sens ou dans un autre, peu importe riche ou pauvre, beau ou laid, intelligent ou benêt, mâle ou femelle.Mais la même gêne quelque soient les circonstances. Un malaise tout azimut. Peut-être un leg tellement précoce, congénital, comme si cette infamie se devait d’être tout de suite partagée dans l’urgence. Comme si famille et ignominie formait une nuit, un océan primordial, une soupe. Ce gluau qui te colle tout l’être dans un langage poisseux. Un mélange à la fois rassurant et effrayant par la totalité des apparences qu’évoque la sonorité des mots. Des mots comme des signaux, des alertes qui soudain sont hurlés quand justement l’apparence ne tient plus. Premières rencontres avec les mots d’ordre, ceux-ci servant de colle au silence des pierres, à l’écorce constituant l’arbre, la grotte, le foyer. Il serait sot d’imaginer encore que tout fut noir. La sonorité des mots, de tous les mots sans exception fut l’unique guide pour aller à la rencontre de l’Esprit. Esprit de la langue, esprit du monde, esprit de l’être, le Saint-Esprit. Comme un prisonnier s’en va à la promenade son boulet au pied. Ce n’était pas ambitieux, c’était inconscient alors. Mais c’est l’ambition de vouloir s’élever au- dessus d’une condition jugée misérable, honteuse, par les membres mêmes de cette famille toujours insatisfaite du moment présent, toujours se projetant dans une peur du lendemain. L’ambition les tenaillant tellement, elle ne pouvait être mon amie. Aussi au lieu de m’extraire peu à peu je marchais vers l’inverse, j’allais au contraire vers tout ce qui effrayait tant, la solitude, l’ennui, le manque. Une extraction à l’envers, pour tenter de sauver quelque chose. Mais alors incapable de poser un mot sonnant clair sur celle-ci. Cette incapacité me fut certainement d’un grand secours, comme les doutes, les hésitations, pour aller à la rencontre de mon propre langage mais encore fallut-il gagner en patience pour commencer à en extraire des connivences, une amitié.