Nier l’écriture

Avec la rentrée le retour des ateliers d’écriture, et la première proposition de nier l’écriture, comme nier aussi, si j’ai bien compris l’énoncé, la notion de récit, à partir d’une image photographique notamment. C’est à dire ne pas la décrire, ne pas livrer ses émotions, ne pas se donner comme auteur d’un texte à partir de cette image, se mettant en avant. Mais, plutôt s’attacher à la partie mise en place, la cuisine, les ingrédients: Et créer ainsi comme une sorte d’inventaire des raisons comme des outils utilisés à cette fin. C’est un peu plus compréhensible désormais qu’avant. Encore qu’il me reste quelques relents d’opposition, de révolte, mais que je suppose plus automatiques qu’autre chose. Les dernières défenses, les dernières barrières, peut-être pas. A cette occasion je ne peux que constater ce désir d’arriver toujours à un préambule de fin, une espérance d’en finir avec quelque chose. L’utilisation fréquente du mot dernières.

Ce que je comprends c’est qu’on ne peut plus écrire comme Balzac depuis Proust, que l’écriture et l’auteur peuvent se comprendre différemment, que l’écrit fabrique l’auteur plutôt que le contraire.

La peur qu’il ne reste presque plus rien de tout ce fantasme d’écriture est un risque à prendre. C’est sans doute même à partir de ce risque que les choses peuvent devenir sérieuses, ou intéressantes. Comment s’y prendre, c’est la question, le reflexe de la question qui revient. Peut-être qu’il ne faut pas s’y prendre justement. Qu’il faille laisser aller les mots en premier lieu leur petit bonhomme de chemin. Puis relire, réécrire à partir de ce chemin, ajouter les idées, les mots, les images qui en naissent de façon transversale, comme on documenterait l’événement d’un premier texte.

J’y suis d’autant plus favorable après tout ce parcours de non peinture effectué parallèlement. Et aussi après avoir revisité le travail de Gerhart Richter, suite à la vision du film « l’œuvre sans auteur » que j’ai pu récupérer sur la chaine Arte replay. Le fait d’utiliser des photographies banales et de les peindre telles quelles en les floutant légèrement à la fin. Extirper de cette apparente banalité un tableau qu’on exhibe à la vue du monde, n’est-ce pas ce que je tentais déjà de réaliser dans les années 80 en photographie directement. Prendre des images de la réalité quotidienne, mal cadrées ou plutôt sans décider d’un cadre en amont, en me laissant totalement guider par mon instinct par la rapidité et aussi la sauvagerie de la prise de vue liée à la chose vue. Je ne savais même pas que Richter existait à cette époque . Mais ce devait être des idées du temps. Comme aujourd’hui nier l’écriture doit en être une autre. Se rebeller contre les idées du temps ne sert à rien s’y on ne les comprend pas dans leur profondeur, et tous les liens que cette apparente spontanéité tisse avec l’histoire en général. Un révolte superficielle dans ce cas, caractérielle si j’ose dire, enfantine.

Je rapproche cette réflexion de mon regain d’intérêt pour la perspective en dessin. Je reprends les bases et je les étudie d’un autre œil, plus apaisé. On rejette tellement de choses pour se construire finalement, en opposition à des pères qui, si on les regarde d’un peu plus près, ne sont rien d’autre que les maillons d’une chaine à laquelle on ne peut pas faire autrement que d’appartenir. J’imagine que c’est cette inconscience proche de l’ignorance qu’il est utile de pister et qui, souvent, se dissimule derrière des mots valises comme par exemple peinture intuitive, peinture spontanée, peinture abstraite.

Dans ce cas on peut bien nier tout autant l’écriture que la peinture, la poésie, la broderie, effectivement, on le doit même, surtout si tout cet emballage qui ne sert qu’à tromper l’autre, pour se mettre en valeur, pour se distinguer, mais qui nous égare finalement car nous nous trompons au même titre ainsi.

Socrate n’aimait pas l’écriture. D’une certaine façon il la niait lui attribuant divers maux : il ne voyait dans les mots qu’une matière inerte sans nuance ni profondeur et qui risquait de faire disparaitre la mémoire, un outil essentiel à son époque pour s’approprier la connaissance. Il disait également que les textes ainsi écrits risquaient de se retrouver hors de contrôle de leurs auteurs, susceptibles ainsi d’être interprétés de façon erronée soit par ignorance, soit par malveillance. Le risque que les mots soient utilisés pour ne rien dire, que cette idée remonte du fond des âges pour rejoindre notre modernité dans un atelier d’écriture pose encore une fois le problème du réel, de la définition de ce réel, que ce soit par l’écriture ou par la peinture me concernant plus intimement. De quelle réalité est-il question ? De la réalité subjective d’un auteur, certainement, c’est ce qui caractérise l’artiste en général de nous montrer sa réalité à lui et à nous de confronter tout autant la notre à celle-ci. Mais en même temps ne pas perdre de vue l’émotion qui nous unit tous en un même temps et lieu. C’est peut-être cette peur finalement, celle de perdre l’émotion telle que je comprends ce mot- surement assez mal d’ailleurs-qui m’entraine à résister contre toute velléité mécanique, contre une habileté technique qui outrepasserait ses limites. Maintenant l’étude de la perspective par exemple est une voie pour faire la part des choses entre une habileté fantasmée et une habileté fruit d’un travail. Dans l’écriture aussi il y a autant de travail à effectuer que pour dessiner, c’est souvent un vertige que d’y penser seulement et la meilleure façon de se débarrasser de ce fantasme c’est d’attraper justement la réalité, ou notre incompétence à bras le corps. C’est nier aussi là quelque chose de néfaste d’hostile tout entier enfermé dans l’imaginaire et qui n’est pas heureux de l’être assurément.

image mise en avant: Gerhart Richter Peinture, S.mit Kind

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