
L’ambiguïté de l’objectif en tant que pièce indispensable d’un appareil photographique confronté au mot objectif comme but, et aussi à cette légende qui voudrait que l’on tente de rester objectif quant à un événement. Un même mot pour exprimer trois choses différentes. Quel serait le lien que je pourrais construire ou mieux, que j’ai déjà construit même bien avant de me rendre compte de cette ambiguïté? La plupart du temps inconsciemment. Juste en raison d’une homonymie, d’une similitude sonore bien plus qu’en s’enquérant du sens.Des nuances sensées être adoptés collectivement via l’approbation d’une académie quelconque. Quelconque car pas vraiment reconnue par un quidam comme moi. Ou alors si haut placée dans le ciel imaginaire que l’on recule humblement aussitôt en l’évoquant. Une sorte de royauté de droit divin qui a pouvoir malgré toute révolution enterrée de décider du sens des mots. Elle, l’Académie, bénéficiant, à tort ou raison, peu importe de cette soi-disant qualité d’objectivité. Dont l’objectivité même est le fondement de toutes ses actions dont la mise à jour de la langue, du dictionnaire.
Et, sur une ligne parallèle le sens des mots que l’on cherche à comprendre seul avec ses propres moyens. Une quête dont l’impulsion se tiendrait enfouie profondément quelque part dans le vaste monde. Un trésor gardé évidemment par un dragon. Quand commence ce premier pas sur le sentier qui s’enfonce dans la brume d’automne ? Il faut bien que l’on ignore cette impulsion. Le fameux pourquoi. Que l’on ignore aussi de ce brouillard l’épaisseur. Tout comme le temps qu’il nous faudra pour le traverser, trouver l’éclaircie. Ce pourquoi surgit parfois si facilement chez certains êtres alors qu’il prendra une vie entière chez d’autres. Et, encore, pas sûr que beaucoup ne disparaissent pas en n’ayant jamais pu découvrir leur pourquoi. Des multitudes devenues à leur tour des questions pour les vivants.
L’objectif alors pour tenter d’y voir clair, d’y comprendre quelque chose, par l’entremise d’une focale, d’un jeu de lentilles, par l’invention de buts qui, une fois atteints, s’évanouissent pour laisser place à d’autres. Et, cette tentation parfois d’adopter un certain recul, une sorte de neutralité frôlant le désengagement, l’indifférence et le mépris dissimulé par ces voies de garage.
Prendre une photographie demande un certain culot. D’une certaine façon c’est héroïque. On se heurte au réel. On tente de lui dérober quelque chose. On essaie de s’en approprier un fragment. On sent bien cette gêne la toute première fois mais elle est si brève. Elle s’enfonce presque aussitôt dans le bon sens, les raisons que l’on invoque pour la recouvrir au centième de seconde. L’objectif souvent de la prise de vue est de conserver un souvenir, anniversaire, mariage, naissance, décès, événement familial. C’est l’idée de la photographie, commune au début. On pourrait avoir la sagesse et la pudeur de s’arrêter à cela. S’en tenir à la reproduction d’un rituel. Puis coller tout ça dans un album que l’on s’échangera de main en main par delà le temps qui passe. Quelques générations à peine.
Évidemment on rit de cette pensée magique aujourd’hui. On ne la prend pas au sérieux. Pourtant il suffirait de plisser un peu les yeux, de gommer tout le superflu pour tomber sur cette évidence qu’elle se tient toujours dans les fondations de tous nos agissements.
Aller plus loin est donc, dès l’origine, l’enfreinte d’un non-dit, d’un tabou. On l’enfreint sans même le savoir. La frontière est invisible et on l’enjambe ainsi dans une sorte d’insouciance. Les raisons que l’on se donne pour la franchir ne sont que des raisons assez banales quand on y repense des années plus tard. Vouloir faire des photographies d’art, vouloir faire des photographies de mode, de guerres, d’instruments de musique. Effectuer ainsi grâce à ces raisons que l’on se donne tout un parcours en regardant au travers d’un viseur. La cible ne cesse de bouger. Pas celle devant l’objectif. Celle qui se cache au fond de soi. Posséder un don, réussir de merveilleux clichés, la belle affaire au final. Ce serait même un handicap. Puisque à l’appui des félicitations, des encouragements des bravos, on peut s’imaginer avoir atteint au but. En faire même un métier. Vivre heureux, s’en réjouir. Une certaine ignorance est souvent salutaire. Le fameux n’a pas su n’a pas souffert
D’ailleurs ne dit-on pas saisir sa chance. Le mythe du photographe, le mythe du peintre, le mythe de l’artiste. On ne retient habituellement dans l’imaginaire collectif que ceux qui ont réussi à renoncer à s’installer dans le confort qu’octroie le fait de saisir sa chance. Ceux qui n ’ont pas voulu se contenter d’elle. Qui ont désiré se rendre au delà de cette chance, dans ce qui fait peur à tous, l’inconnu. Aujourd’hui la chance est devenue une peau de chagrin. Avoir un CDI. Nouvelle ère, nouveau graal. Ne serait-ce pas complètement fou de vouloir souhaiter autre chose. D’y renoncer une fois l’objectif atteint. Cette valeur perçue de l’objectif atteint bizarrement n’est jamais la valeur personnelle qu’on lui accorde. Tout la contredit cette valeur attribuée par le collectif. Et, c’est d’ailleurs souvent en raison de cette contradiction que l’on capitule. Que l’on finit par se raisonner. Un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras Et pour nourrir la pensée magique, le tiercé et le loto. Vaguement les tombolas des kermesses de village.
Je ne sais pas ce qui m’a le plus fait réagir et qui a provoqué cette décision de démissionner de ce poste de prof. Un ensemble de signaux enfin visibles ou audibles probablement. J’essaie de reconstituer la scène, de ralentir le temps, presque de le rendre immobile afin de me déplacer silencieusement entre les différentes raisons posées là, figées désormais comme des statues antiques. Je m’approche pour examiner leurs socles à chacune. Je ne peux que constater leur aspect friable. Comme pour mieux m’aider à comprendre combien les raisons sont bâties sur cette fragilité elle-même. Que ce que l’on ne peut plus ignorer c’est la violence qui se dissimule derrière cette fragilité des raisons. Aussi s’arrêter à cette violence serait irrespectueux envers cette perception, la rendrait bâclée, incomplète si aussitôt le mot sacréne l’accompagnait pas.
L’invention du sacré pour tenter de juguler la violence. C’est de ce cuir que l’on fabrique les œillères autant que brides et rênes. Comme une image que l’on voudrait toujours superposer par dessus une autre. À quelle fin, si ce n’était pas pour les voir s’effondrer ensemble, une fois réunies correctement. La fameuse dissipation attendue du brouillard.
Repas organisé par l’association. Des dizaines de personnes, des bénévoles pour la plupart. Une vaste terrasse éclairée par des lumignons au crépuscule. Brouhaha. J’arrive ainsi sur le seuil du restaurant et je m’arrête net. Je ne connais presque personne. Je fuis toutes les réunions d’ordinaire. Ce soir je m’étais dit fais un effort. Quelques échanges avec ce type autrefois ingénieur, désormais prof d’informatique. Il se parle à lui-même. Cet autre œnologue une fois par mois qui est assis à ma droite. Je n’y connais rien en vin, je ne sais que reconnaître quand il n’est pas bon. Mais, je fais un effort là aussi de m’intéresser. À gauche des femmes qui font du yoga. Elles m’ignorent une grande partie du repas, et c’est assez confortable. Puis chacun se lève, se présente à l’assemblée. Certains volubiles et loquaces, parole soutenue par une reconnaissance de nombreuses années de compagnonnage. Applaudissements. Vient mon tour, je dis peu, le strict minimum puis me rassois. C’est suite à cela que les femmes yogis s’intéressent à moi soudain. Elles voudraient en savoir plus. Je renvoie la balle en les questionnant, les bombardant de questions quant à leur pratique. Technique imparable que celle de s’intéresser à l’autre pour qu’il nous oublie. Au final le goût trop sucré de l’entremet, l’acidité du mousseux, le refroidissement subit de l’air tout autour, et cette impression de déjà vu, celle de l’ennui qui envahit toute la scène. Tous ces gens comme des naufragés tentant de s’accrocher à quelque chose, leur verre leur fourchette, leur couteau, leur voisin de table, paroles ou rire un peu trop forts. Content d’en avoir terminé je n’ai pas demandé mon reste. Une sensation toute à fait aiguë, de mon étrangeté comme de l’incongruité de ma présence ici. Comme si il fallait que je passe par tout ça pour me rendre enfin compte que je n’avais rien à faire ici. Que je m’étais trompé de chemin. Depuis cette sensation ne m’a plus quitté. Elle continue à se répandre à la fois en moi et tout autour. Finalement je finis presque par accepter qu’elle est l’objectif la dernière poupée russe, je veux dire le sens trouvé d’un mot qui depuis toujours me taraude.
J’aime cette sensation de comprendre que je n’avais rien à faire là…
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Oui, je comprends qu’on puisse aussi l’amer.
Bonne journée Barbara
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Belle journée aussi…
Ton lapsus l’aimer / l’amer…Un régal.
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Oh je laisse je corrige pas aller
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combien familière cette étrangeté et combien usitée la diversion – se faire oublier – mais ça n’empêche pas également de vraiment s’intéresser ( parfois comme un voile qui se déchire – une sorte d’entrée dans la vie des autres – rassurante d’être avec.)
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Combien de soirs où l’on s’est dit « fais un effort » ?
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Et oui, pas que le soir
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