
Clara referma son livre et se rendit à la fenêtre. Ce matin-là, la clarté du jour pénétrait de manière différente dans la pièce et faisait reculer la pénombre. Elle en fut un instant étonnée puis, pour en avoir le cœur net, elle se couvrit d’un châle et sortit au jardin. Là soudain, elle vit que le printemps était arrivé. Quelque chose dans l’air, dans la flagrance, dans la couleur, une chose semblable certainement, mais qui empruntait chacun de ses sens dans une sorte d’urgence comme pour le répéter. Et, à 95 ans, Clara éprouva cette sensation peu ordinaire de sentir comme jamais auparavant que le printemps était arrivé, ou qu’elle-même était arrivée à avoir une disponibilité d’esprit suffisamment nette pour l’accueillir.
Le paysage se déployant au-delà du jardin comme le jardin ressemblait à l’un de ces rouleaux chinois dans lequel le spectateur n’est pas tenu de rester immobile. Elle pouvait sans faire un pas se déplacer dans le paysage dans son ensemble. Elle n’était plus tenue par l’obligation monoculaire d’un seul point de vue. Toute la perspective s’était modifiée et ce qu’elle constatait, c’est qu’elle pouvait enfin prendre le temps de regarder et de voir ce paysage. Peut-être en raison de ce confinement qui l’avait obligé à rester enfermée chez elle de si longs jours.
Elle resta là à contempler le printemps un long moment. Puis, elle eut envie d’aérer la maison. Ouvrir toutes les fenêtres pour renouveler l’air, que cette nouvelle sensation demeure chez elle, et y demeure autant que puissent demeurer les choses quand on atteint un âge certain.