
Aucune prétention de remettre en question tout le voyeurisme sur lequel s’appuie l’art occidental. Cette histoire de cône de vision. Un seul N. Disons depuis La Renaissance, mais ce serait simpliste, il faudrait remonter aux Grecs. Et, malgré les tentatives de certains de tenter d’en sortir. Cette illusion mathématique, géométrique qui au bout du compte nous invite à regarder le monde, sa réalité au travers d’un trou de serrure. Plus encore aujourd’hui que jamais cette position de spectateur comme voyeur. Voilà donc la perspective et le résultat qu’elle impose à angle droit. L’angle de 90° essentiel pour l’invention d’une ressemblance proche de l’exactitude. L’angle de 90° censé être le même que celui de la vision humaine.
Je l’avoue, j’ai toujours eu beaucoup de difficulté avec l’idée de perspective. Que ce soit en dessin ou dans la vie en général. Peut-être en raison de cette obligation d’immobilisme nécessaire afin de conserver un point de vue. Sûrement aussi à cause du malaise provoqué par ce voyeurisme qui au bout du compte rejoint la gène de me retrouver passif en de nombreuses circonstances. D’ailleurs, il serait facile d’imaginer que détestant le voyeurisme, je l’eusse étudié sous toutes les coutures en m’y plongeant tête la première. Probablement à cause ou grâce à des ouvrages lus à la hâte. Le traité du rebelle d’Ernst Junger notamment, le premier qui me vient à l’esprit. Je ne pense pas l’avoir lu complètement, d’ailleurs, je crois que dès les premières pages mon esprit s’est emparé de quelques mots clefs pour s’en évader. Il n’en aura gardé que des bribes. Ainsi celle-ci, par exemple, que la meilleure façon d’agir pour s’opposer à un système était de le pénétrer, de se retrouver à l’intérieur, et ensuite de provoquer de toutes petites actions presque invisibles pour le faire à terme dérailler.
Et, n’est-ce pas ironique que durant ces derniers jours, je passe une grande partie de la journée à reprendre mes vieux cahiers ? À y chercher des notes sur la construction géométrique, ceci afin de créer moi aussi mon cours sur la perspective. Un cours différent de tous les autres bien sûr. Je déteste me répéter dans la même forme. Puis il faut aussi tenir compte du système. Ses limites, ses résistances, ne pas bousculer les choses de manière visible, mais utiliser justement les paradoxes. Ceux sur lesquels on tombe quasiment aussitôt que l’on sort de ce fameux cône de vision. Ceux qui tout à coup déforment encore plus la réalité d’autant qu’on l’avait installée sagement dans un angle droit, un angle à 90°.
Sûrement pas un hasard si simultanément, en tache de fond, mon rapport à la photographie ne cesse plus de me tarauder. Peut-être dû au prétendu hasard, celui de ma participation à cet atelier d’écriture de François Bon. #photofictions, et qui creuse les relations entre photographie et écriture. J’y participe non de façon directe. Cependant, je ne produis pas de texte afin de répondre à la consigne. Quelque chose m’en empêche en ce moment. Sans doute cette idée de point de vue. Une perspective qui serait sûrement trop étroite, trop subjective si je me contentais d’obéir simplement à la consigne. Non, je souhaite évidemment profiter de cette aubaine pour l’étendre, parvenir à agrandir le périmètre du cercle. Sortir si c’est possible en même temps de la passivité et du voyeurisme. Agir.
J’en plaisante encore parfois, mais le titre de ce blog n’est certainement pas venu pour rien. Peinture chamanique.Non que je veuille endosser le costume d’un chaman moderne, en revanche plutôt relier nombre d’impressions qui, la plupart du temps, ne peuvent justement pas être représentées dans cet angle imposé par l’histoire de la perspective.
Une de mes spécialités, tirer sur un petit fil qui dépasse en tenter de le suivre souvent au travers de nombreux méandres jusqu’à son origine. C’est à peu de chose près l’histoire proposée par Don Juan le vieux sorcier Yaki à Carlos Castaneda. Relaté de mémoire dans un de ses ouvrages intitulé rêver.
On rêve. Enfin, c’est aujourd’hui indéniable. L’éveil n’est pas de notre ressort ni la grâce. Il faut donc faire avec ce que l’on a, et ce que l’on est. Mais parfois, une solution pour passer d’un rêve l’autre est cette vigilance à l’insolite qui traverse notre champ de vision de dormeur. Le cône de vision est pour moi un de ces objets insolites. Et, comme souvent, il apparaît dans une sorte d’évidence sur laquelle il serait impossible de poser le moindre mot. C’est sans doute en raison de ce mutisme avec lequel on s’enfonce dans la profondeur de la pensée, comme si celle-ci n’était qu’une couche superficielle du rêve, que l’insolite est visible véritablement. Qu’il nous saute aux yeuxsi je peux dire.
J’avais déjà écrit plusieurs textes en relation avec cet insolite et la vision.
comment-marche-un-indien-dans-la-foret/
Il doit y en avoir d’autres, finalement, c’est peut-être une récurrence dans ce blog. Mais à chacun de trouver ce qu’il cherche, je ne veux rien imposer. Ce dont je m’aperçois au travers de ces textes c’est l’utilisation des modes divers pour parvenir aux frontières d’une même chose toujours ou plutôt pour tenter de la dépasser. Soit par des pseudos essais, par des fictions, de même que certaines photographies de peinture pour les illustrer ; celles qui matchentou pas… finalement, je suis peut-être plus que je ne le pensais dans la consigne proposée par cet atelier d’écriture. Et ce avant même que je n’en prenne connaissance.