
Toutes ces choses que l’on s’empêcherait de faire juste en raison d’une peur d’apparaître ridicule. N’a-t-on jamais envie de l’écarter cette peur ? De lui dire va t’en, tu es la chose la plus pénible, la plus ennuyeuse que je connaisse ici-bas sur la terre. Mais non. Elle se tient toujours ici ou là comme une lancinante blessure qui se rouvre encore et encore. Et, ce même quand on pense en avoir fini avec elle. Presque toujours, elle trouvera un moyen de refaire son apparition, et lorsque l’on s’y attendra le moins. Peut-être parce qu’elle est en lien avec l’enfance, un des derniers liens que l’on chercherait coûte que coûte à conserver quand tous les autres semblent s’être dissous au fur et à mesure des années. Le seul lien avec mon enfance, c’est la peur du ridicule et ce combat que j’ai toujours maintenu contre elle. En n’hésitant pas à me plonger souvent dans les situations les plus ridicules qu’il soit évidemment. Est-ce du courage, de l’inconscience, un sentiment omniprésent d’injustice que j’ai constamment voulu étudier ? Je ne saurais pas le dire. Sans doute la configuration globale de petites failles perçues très tôt dans la solidité apparente d’une réalité morne. Et, ce combat m’aura mené sur une route étrange, sur laquelle en me regardant agir dans le reflet des miroirs, j’ai été tour à tour héroïque ou complètement con. Ce qui m’aura d’ailleurs permis de mettre en doute sérieusement la ruse, l’intelligence du héros dès que l’occasion m’était donnée de les étudier. Ainsi, je dois être un des rares lecteurs à éclater d’un rire franc en suivant les péripéties des héros de Dostoyevsky. Peut-être que cette hilarité ne m’est pas venue naturellement. Soyons honnête aussi, la lecture de René Girard y aura été pour beaucoup sans que je me souvienne des raisons pour lesquelles j’effectue désormais cette association. Par contre, je reste encore fermement ému à la lecture des romans de Panait Istrati. À chaque fois, je retombe dans le même piège de l’émotion à leur lecture. Probablement parce que je me suis crée une image, une histoire de l’auteur que j’aurais désiré proche de la mienne tout simplement. Une simple affaire d’identification. Ce côté fleur bleu exacerbé d’autant que la lucidité me flanque la paix, m’octroie une pause. La manière que j’ai de me ruer là-dedans comme dans un feuilleton de série B. Bon public. Capable même d’en verser des larmes. Slave pas pour rien. Cette grandiloquence de la tragédie n’égale que celle de la comédie. Allez savoir le vrai du faux, difficile quand on a baigné là-dedans depuis les tout premiers jours de sa vie. Ma mère était ainsi, elle savait passer du rire aux larmes sans cligner d’un œil. Comme elle respirait. Ce qui m’a donné, je crois, l’habitude de considérer tragédie et comédie comme des moyens de communiquer quelque chose tout en ne sachant jamais véritablement quoi. Peut-être l’ineffable de la vie tout bonnement. Cette grande stupeur lorsqu’on y songe.
Nul doute donc, je suis un homme parfaitement ridicule. Non pour m’en plaindre, mais en toute connaissance de cause. À la fois pour éloigner de moi les gêneurs, les empêcheurs de tourner en rond, mais également pour rester dans une impression d’exil perpétuel, sans doute le principal legs de ma mère, de toute cette famille, de son côté à elle que je n’ai jamais pu oublier. Qui prend une place importante dans la structure même de ma pensée comme de mes agissements. Une sorte de dette jamais totalement remboursée. Si je suis ce que je suis, le pire comme le meilleur c’est certainement aussi grâce à tous ces gens qui ont eu le courage de sortir du ridicule, de l’abject, de l’insoutenable à un moment donné de leur existence. Qui ont tout perdu en partant. Et, qui, du moins les rares que j’ai connus, prenaient la vie désormais avec un certain recul, beaucoup de désillusions digérées, une acuité phénoménale à tout ce qui cloche pour en faire presque aussitôt une occasion d’en rire.
Le ridicule et la fierté, l’orgueil, la peur du qu’en dira-t-on. La peur animale de rompre tous les liens qui nous constituent de façon identitaire, ils l’ont tous vécue à leur manière, avec leurs qualités et leurs travers. Alchimiquement si j’ose dire, ils auront transformé cette peur du ridicule en or. C’est sans doute aussi cette charge que j’ai décidé de prendre un jour sur les épaules. N’est-ce pas tout aussi ridicule que de ne pas le faire finalement ? Dans le rire, il y a quelque chose d’autre encore que j’ai parfois pu entrevoir, mais jamais hélas durablement m’y installer. Comme une connexion avec le sacré, ça va forcément paraître ridicule cela aussi. Rire pour rejoindre le divin. Ensuite, ne jamais l’atteindre, en revanche seulement l’entrevoir. Suffisant pour adorer lire Rabelais autant que Saint-Jean de La Croix.
D’une certaine manière, je ne suis pas loin de penser que je possède une fameuse maitrise de ce ridicule aussi. Que je pourrais même l’enseigner, enseigner à se détacher de tous ces liens qui nous enserrent par le recours à la peinture, comme au ridicule. C’est un peu ce que je fais souvent inconsciemment. De moins en moins inconsciemment.