Objectifs et projets, reprise.

Dessiner un village de nuit. Exercice sur tablette. 2022.

Lorsqu’une personne me parle de ses objectifs, de ses projets, je suis bon public, voire même admiratif. Puis, assez rapidement, surgit une inquiétude. Un doute. Et, enfin, je rebrousse chemin. J’en reviens ventre à terre à l’instant où cette « histoire » m’est racontée. À la façon dont mon interlocuteur s’y prend pour la narrer. Est-ce un réflexe ? Et si oui, il me semble que ce qui le déclenche est juste une affaire d’oreille. Un mot qui ne colle pas aux autres, un objet insolite. Un ton au-dessus ou en dessous de celui du ton général de l’évocation. Cette dissonance détectée je perds le fil de l’histoire et simultanément la foi en toute possibilité de réalisation des dits objectifs ou projets.

Sans doute une attitude réflexive m’oblige à ce recours. Car j’ai, de nature, beaucoup de difficultés à croire en la notion d’objectif ou de projet. La plupart du temps je n’y vois que bavardage, du remplissage servant à meubler le silence entre les êtres. Une sorte de levier pour désamorcer la gêne. Un passe-temps. À partir de cet instant, depuis cet instant même où aura surgit le couac, la dissonance, je ne peux plus m’appuyer compter sur aucun prétexte pour accompagner ou suivre , en pensée, mon interlocuteur dans le déploiement de son récit comme dans une projection du temps.

Bien sur je sais ce qu’est un objectif, un projet. Je connais aussi la satisfaction de les atteindre ou de les réaliser. Ce résultat néanmoins ne m’a jamais empêché de tomber sur une déception une fois l’enthousiasme, la frénésie, la communion évanouis.

C’est un peu comme faire l’amour. Cette simultanéité de plénitude et de vide qui se côtoient jusqu’à se confondre et où, à la fin, il ne reste plus qu’une absence.

Il s’agit avant tout, hélas, d’une exigence qui, quoi que je puisse penser ou faire, ne peut jamais vraiment se satisfaire.

Qui aussitôt atteinte disparait pour laisser place à un manque dans lequel va puiser l’énergie pour s’élancer vers autre chose. Une énergie du manque si l’on veut.

C’est à dire que je possède cette conscience à tort ou à raison que tout objectif tout projet n’est jamais rien d’autre qu’un ersatz, un prétexte, une sorte de pansement, en même temps qu’une représentation de l’existence toute entière avec une naissance, un développement, rebondissements, croissance et chutes pour atteindre à un climax puis un épilogue, et bien sur une fin.

Mener à bien un projet, jusqu’au bout, c’est accepter tacitement, inconsciemment la plupart du temps qu’il naisse se développe et s’achève. C’est une métaphore qui finit par tout envahir, la naïveté n’y résiste pas plus que l’enthousiasme. C’est justement ce dont il ne faudrait jamais être conscient. Toutes ces idées ne sont sans doute que des croyances. Des croyances qui en valent d’autres exprimant l’idée que l’homme se construit grâce à ce qu’il fait. On « consommerait » ainsi des actes comme toute autre denrée finalement. Et ce pour amasser un capital, une satiété, une masse graisseuse rassurante.

À force d’objectifs, de projets ainsi menés bon train, on deviendrait une femme, un homme d’expériences.

On n’aurait pas peur de penser de façon légitime que la fameuse confiance en soi provienne de cette somme d’échecs et de réussites.

Et donc la foi, la confiance en soi, serait l’objectif, le projet, comme le véritable auteur de cette histoire souvent abracadabrante qu’est notre vie.

Enfant je me souviens avoir passé beaucoup de temps à observer les insectes, notamment les fourmis.

Quelle admiration je ressentais alors en voyant que quelque soit l’obstacle se dressant devant elles, il ne les arrêtait jamais. Une volonté inflexible. Une volonté inhumaine. Une volonté de machine. Proche d’un programme, informatique. Qui les oblige, ces insectes, à dépasser sans rechigner jamais chacun de ces obstacles pour atteindre au but.

Et en même temps je ne pouvais qu’éprouver une sorte de compassion de comprendre à quel point chacune de ces bestioles était assujettie à ce programme, prisonnière de celui ci, n’ayant même pas l’idée de songer à le fuir, à s’interroger sur les tenants et aboutissants de celui-ci puis à s’en échapper.

L’être humain serait-il différent des insectes. Grande question, ruminée avec effroi. Ces objectifs et ces projets que nous ne cessons de poursuivre ont-ils un sens véritable ? Ne sont-ils pas des chimères que nous ne cessons de poursuivre contre vents et marées ? Sommes nous assujettis nous aussi à des sortes de programmes. La fameuse fatalité ne serait-elle pas autre chose qu’un programme ? Et le véritable libre arbitre, à condition qu’il puisse exister vraiment, ne serait il pas autre chose qu’une résistance têtue à toutes les injonctions crées par ces programmes. Entre obéir et désobéir la frontière est en premier lieu un no man’s land. Un espace vague dans lequel l’être se retrouve à nu. Le doute et l’hesitation entravent le chemin de tout choix tout renoncement et installe celui qui y est confronté dans un « moment » c’est à dire un point d’équilibre précaire. Et sans doute que de vouloir examiner cette sensation de précarité si peu agréable soit-elle offrirait aussi des avantages. Sinon pourquoi s’y habituer peu à peu et avec persévérance?

l’idée de néant ou de mort vient à l’esprit.

Sans doute aussi pour mieux écouter les dissonances qu’on finirait par repérer dans la narration de ces deux mots. Qu’ils proviennent de bouches étrangères ou de la nôtre. Peut-être que depuis ce no man’s land on se préparerait à passer enfin l’idée d’une frontière plus librement, plus courageusement, sans encombres. Et que pour lâcher du lest, la première des choses dont il faudrait se défaire est notre propre idée d’importance. Car tout bien pesé, n’est-ce pas celle-ci qui ne cesse de vouloir se maintenir coûte que coûte au travers de l’apparence. Apparence se résumant à ces objectifs que l’on se donne, aux projets que l’on fomente. L’idée d’importance et l’idée du complot permanent pour se survivre perpétuellement à elle-même.

A cet instant tous les prétextes, toutes les raisons sont « bonnes » pour que nous n’en doutions pas. Le pire, l’effroi ne serait-il pas de nous retrouver à errer de par le vaste monde pour rien.N’est-ce pas ce qui nous effraie le plus que l’existence soit parfaitement inutile, la notre particulièrement. Que tous nos faits et gestes ne soient toujours effectués pour rienExercer un art, la peinture par exemple, est aussi une façon d’aborder ce no man’s land. De remettre en question souvent la notion d’objectif, de projets. Est-ce qu’au bout de tout le cheminement on ne retrouve pas cette précarité, ce doute et l’hésitation salutaires qui nous font douter du choix comme du renoncement ? Et ce quelques-soient les réussites et les échecs traversés. Ce sentiment de précarité, l’a t’on suffisamment étudié, creusé enfin, qu’on y découvre enfin l’avantage ? Est-ce du détachement, la sensation de se sentir enfin libre, ou d’avoir pu traverser la frontière tant redoutée, d’être enfin mort le plus naturellement possible?

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