le verbe, le temps, les autres et moi, comment conjuguer.

Tout commence sur les bancs de l’école. Tout, c’est à dire La difficulté à saisir ce que peut être le mot conjugaison, son utilité, sa raison d’être dans ce qu’il propose de relation entre le temps, la façon de s’exprimer pour rendre compte d’actions, les miennes comme celles des autres. La plupart du temps. La plus grande part du temps nous devons mettre le verbe sous le joug de quelque chose, étymologie du mot lui-même, mais on ne sait pas vraiment ce qu’est ce quelque chose. Et puisque l’école propose un enseignement vertical, du type règle énoncée par l’instituteur ou professeur, obéissance ou non de la part de l’élève d’appliquer la règle, toujours éprouvé cette sensation désagréable de ne pas pouvoir en savoir plus. En détail. Pourquoi telle ou telle règle avait été conçue. Ce qui justifiait qu’elle avait été établie dans le temps, dans l’histoire. Une carence d’explications occultée par la pression du devoir à faire, la leçon à apprendre par cœur. Cela en dit long sur la façon dont la pédagogie scolaire n’a guère changée en un siècle. Apprendre ainsi par cœur les tables de multiplication ou les conjugaisons sans pouvoir prendre le temps de s’interroger sur les raisons, sur le véritable pourquoi des choses. Sans doute me suis-je posé des questions. Certainement les ai-je formulées à voix haute, parfois. Au tout début. Cependant, la réception de celles-ci se soldant en gros par un tais-toi et mange m’aura vite dissuader de les réitérer. Mais pas de continuer à m’interroger. Et d’inventer moi-même toutes les histoires possibles pour m’expliquer à moi seul pour moi seul, ce que pouvait être la conjugaison. Démarche précoce d’écriture? Sans doute. À partir de ce que j’ai toujours plus ou moins considéré comme une fragilité face au monde. Une vulnérabilité congénitale. L’impossibilité vécue douloureusement d’accepter le par cœur jugé trop proche du bêlement des moutons. Sauf lorsque réciter s’approche du chant, d’une musicalité dans laquelle il arrive qu’on ressente un plaisir physique, un engagement du corps tout entier qui se propage depuis la bouche jusqu’à l’anus. Le par cœur comme le rituel d’un plaisir solitaire qui ne s’avoue pas. Et qui justement parce qu’il se tient dans une zone de non-dit, ou de l’interdît, fonctionne. Sauf que le choix et le renoncement se retrouvent ici encore une fois. Apprendre par cœur une récitation avec ce même plaisir toujours renouvelé. Mais certainement pas les dates de couronnement des rois et des empereurs, pas les numéros des départements de la nation. Dates et numéros subjectivement moins utiles pour l’accession au plaisir. Ce qui signifie déjà une prise de conscience tout a fait personnelle entre plaisir et utilité. Et aussi cette carence inouïe dans le domaine de la perspective. Un rejet de l’utile dicté par un programme au bénéfice du plaisir immédiat de dire de la poésie. De cette sensation de satisfaction immédiate qu’elle procure. Comme le chant, la prière, la litanie, l’écriture. Et que ce refuge dans la quête de ce plaisir immédiat est déjà un avant goût d’un modèle à venir qui peu à peu envahira toute notre société. La fuite hors d’une réalité commune, si proche du désagréable parce qu’elle n’est constituée cette réalité que de contingences, de devoirs à faire, d’obligations, de récompenses ou de punitions. Binaire. Le refus plus ou moins bien exprimé d’être un mouton devient ainsi d’une certaine manière le meilleur moyen d’en devenir un. Ce n’est pas la notion de plaisir qui est responsable du paradoxe. Mais la méconnaissance de la conjugaison. Du fait de ne pas pouvoir s’exprimer au futur pas plus qu’au passé, de ne rien pouvoir dire au travers de ces formes si complexes que prend le passé, le futur, lorsqu’ils sont composés du simple à l’imparfait, de l’antérieurs, au plus que parfait, notamment. Ce que devient l’emploi du temps dans cette situation, véritable mystère. Tout comme les mots priorité, important, urgent, obligatoire. Il y a un inconfort à s’en tenir uniquement au présent par ce renoncement à toute forme de flexion du verbe, et donc de l’action. Associé au différents séjours effectués au catéchisme, à la messe, en pension religieuse, à la génuflexion. Avais-je dans ma jeunesse les moyens intellectuels de comprendre les raisons de ma réticence à la flexion, sûrement pas. Emporté très vite par l’accumulation des urgences créant la contingence je n’aurais su prendre le temps comme un taureau par les cornes. Peut-être que l’achat de mon tout premier carnet dans une librairie proche de la Gare de l’Est, à Paris, fait partie des prémices d’une volonté de récupérer du temps perdu. De récupérer un accès au temps tout court. Prise de conscience soudaine, intempestive d’un gouffre que j’avais creusé seul vis à vis de l’usage commun du temps. Revenir aujourd’hui à plus de soixante ans à cette notion de verbe, d’actions à conjuguer, en moi-même ou avec autrui implique un effort d’humilité ou de modestie. Et qui découle probablement d’un orgueil mal placé à l’origine. Un orgueil dépourvu totalement de l’idée de sa propre situation dans le temps. L’orgueil déchu d’une divinité s’incarnant soudain dans la matérialité du monde. Et qui aura confondu cette ignorance avec l’idée de son éternité. Alors le fait de se sentir vieillir fait retour à d’anciennes fragilités d’enfant. Évidemment cette timidité oubliée, ravalée en force par les obligations de survivre que l’on se sera longtemps martelées . Bien sûr ce sentiment de ne rien savoir de rien, une fois les murailles que l’on avait construites effondrées. Bien sûr le chagrin d’origine se retrouve intact. Et une fois ces constatations formulées, que faire ? Rien d’autre que ce que j’ai toujours fait au final suite à toute remise en question, repartir de zéro, recommencer. Mais pas de la même façon. Expérimenter d’autres possibilités. Observer encore plus attentivement ce qui cloche dans mon emploi du temps. Les raisons, les excuses, surtout, pour ne pas l’employer à bon escient

Est-ce juste encore de la littérature ? Est-ce encore du récit ? Une nouvelle fiction ? Comment le savoir ?  Il ne suffit pas de se donner des petits coups ou de grand de discipline comme un moine fêlé. Encore faut-il saisir en quoi fléchir ou réfléchir produit un résultat tangible. Évidemment on pense au palpable, à l’argent. C’est un réflexe. Surtout quand on en manque. Ce qui conduit à adopter un système bien rodé, le même depuis toujours. Faire en gros n’importe quoi pour faire face.  Se jeter tête baissée dans des jobs subalternes n’est plus si héroïque que je l’ai souvent pensé. Non, tout cela appartient au passé. Plus de Dieu, plus de héros. Juste un homme qui fait ce qu’il peut pour mieux conjuguer ses verbes.

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