une journée de permanence

Une journée de permanence

Aujourd’hui dimanche je suis en route pour Orlienas, un village médiéval de la couronne lyonnaise. Je vais accueillir le public dans l’une des trois tours devenue un lieu d’exposition. c’est à dire être présent pour recevoir le public. Pour l’accueillir. Aller au devant de lui, se tenir prêt à l’accueil, être présent avant son arrivée. cela commence déjà sur la route. Question ici d’état d’esprit. Quand se prépare t’on. Peut-être avant de monter dans la voiture. Y avoir pensé en amont. Être ainsi de permanence depuis un bon bout de temps déjà. et surtout une fois que l’on sera dans les lieux rester jusqu’au bout d’un temps donné.Il s’agit simplement d’accueillir le public tout un dimanche. De 10h à 18h. S’en tenir à cette idée d’accueil comme fil conducteur d’une journée.

C’est la première fois que je montre au public mes visages imaginaires. D’habitude je suis plus à l’aise avec mes tableaux abstraits. Trop à l’aise, comme on peut l’être quand on s’installe dans une répétition, une habitude.on finit par pouvoir répondre à tant de questions qui nous ont déjà été posées. C’est presque de l’ordre de la récitation. Mais aujourd’hui c’est différent. Je n’ai rodé aucun discours, j’ai la sensation d’avancer avec une fragilité que j’avais oubliée. Ce n’est pas une inquiétude, pas une angoisse, plutôt une curiosité. Comment s’effectuera la réception de ces peintures de visages, de ces peintures dont j’ai compris que le prétexte est le visage.c’est à dire ce qui est mis é en avant, cette partie de nous qui sert à nous identifier, à exprimer une émotion, à échanger avec l’autre, à se reconnaître ou à se distinguer. Visage. On dit aussi figure en peinture. On se figure quelque chose de l’autre en prenant appui sur l’expression de son visage. Et justement que se figure t’on… comment nous fabriquons nous une idée de l’autre à partir d’une série d’expressions. Comment fabriquons nous cette croyance que l’autre est souvent en premier lieu un visage. Lorsque j’étais gamin j’avais l’impression que les visages étaient des masques, je me demandais toujours ce qu’il pouvait y avoir de caché derrière ces masques. Ma pire angoisse c’est qu’il ne puisse rien y avoir du tout. Que derrière un visage, un masque il n’y ait que le néant. Et bien sûr ce néant me renvoyait au risque de percevoir en moi-même le même anéantissement. C’est à partir de cette angoisse que je me suis mis à dessiner au tout début des visages imaginaires. Pour contrer quelque chose, pour que le néant n’emporte pas tout. Pour exorciser quelque chose. Plus tard j’ai dessiné et peint de beaux visages. Mais quelque chose me gênait. L’intention qui se dissimulait derrière ces belles peintures. Être reconnu, accepté, aimé parce que j’avais un bon coup de crayon ou de pinceau. C’était au final désespérant aussi. Il fallait accomplir un genre de prouesse pour bénéficier de ces choses et une fois acquises il y avait un sentiment d’imposture qui n’en finissait pas de persister. Une trahison. J’étais parvenu à imiter assez bien ce qu’on appelle la réalité. Du moins de façon suffisamment convainquant pour que ça en l’air. Mais ce n’était pas ma réalité. C’était la réalité commune si l’on veut celle dont il fallait apprendre les codes pour appartenir à la communauté, parler la même langue, sans trop chercher à se distinguer. Ou alors se distinguer par une expertise particulière. Le dessin ou la peinture étaient les moyens qui se trouvaient le plus facilement à ma portée. Je crois que le mot compromission va bien avec cette période tellement difficile. On se sent obligé de se compromettre par des actions qu’au find de soi on sait débiles. Pour faire rire mes camarades je dessinais des caricatures. J’ai été accepté comme ça je crois comme un bon dessinateur et en même temps un pitre. C’était restreint mais mieux que rien. Cela m’a permis aussi de ne pas avoir trop à me bagarrer avec les autres à expérimenter la violence. Je m’en tirais avec un dessin humoristique, et une sensation à peine déguisée de mépris que je devais essuyer. La compromission dont je parle c’est surtout ce genre de lâcheté de ne pas oser mettre son poing dans la figure de l’autre quand il nous attaque et nous blesse. Faire un dessin calme le jeu mais ressemble aussi à une sorte de défaite, comme une éponge que l’on jette sur un ring de boxe pour dire stop.

J’ai mis du temps à laisser venir la maladresse. À ne pas bien peindre ou peindre comme il faut ces visages. J’ai mis du temps à traverser le jugement issu des règles. Ce n’est pas une affaire de cervelle mais de main. Laisser aller la main qui tient le pinceau. Ne plus la contraindre par la norme la pensée. Même ayant compris intellectuellement la valeur des maladresses, du bancal, de l’inachevé. Peut-être trop intellectuellement. Comme on tente de panser des plaies, des blessures par manque de confiance en l’être ou la nature. Par manque. Et puis un jour la main possède une intelligence qu’on lui découvre. On abdique. La pensée abdique parce qu’elle se rend compte que quelque chose est plus fort qu’elle. Une inconscience dont on prend enfin conscience. Et à laquelle on s’en remet. Pas par dépit mais au contraire parce qu’elle nous propose un point de vue neuf sur ce que peut être l’unité. La beauté , la laideur, le normal et l’étrangeté. Tout ce chemin effectué par le prétexte du visage j’ai décidé de l’exposer peut-être pour affronter encore une fois l’idée de l’écart. Pour mesurer plus finement cet écart par le retour, la réception de ces œuvres qu’on m’en fera ou pas d’ailleurs. C’est une exhibition plus qu’une simple exposition. Exhibition de cette fragilité dont au bout des années je suis parvenu à me convaincre non sans difficultés qu’elle pouvait être une force. Et que ce mouvement pouvait se partager. Que ce travail pouvait apporter une valeur à l’autre, lui faire éprouver le même doute que celui que j’avais traversé quand au mots fragilité, faiblesse et force. Tout cela sans discours simplement en lui montrant mes peintures de visages.peut-être éprouvera t’il elle ce dérangement, ces gênes successives que j’ai traversées en les peignant et les dépassera t’il elle comme je les ai dépassés. Je me tiens dans l’accueil sans attendre quoique ce soit. En refusant d’attendre quoi que ce soit. Sans me faire d’idée par avance de la réception de ces toiles accrochées. Rester dans cette vigilance d’une non idée ou d’une non attente c’est aussi cela je crois être dans l’accueil. Être de permanence. À la fois pour se préserver sans doute mais pas seulement. Pour laisser la place a l’autre de dire ce qu’il voudra dire. Ce qu’il osera ou non dire. Même le silence sera d’importance. Ensuite il y aura mes réponses aux questions, tenter aussi de rester attentif à ce qu’elles seront dans l’immédiateté. Je n’ai rien préparé concernant les questions possibles. Je ne veux pas réciter. Je veux expérimenter cette fragilité aussi en dehors du cadre de la toile. Même me retrouver démuni m’intéresse parce que cela m’apporte un recul vis à vis de ce je crois encore être muni. Une observation en creux. Ici il ne s’agit pas du succès ou de l’échec d’une exposition de mon exposition. Il ´s’agit simplement du succès ou de l’échec d’une expérience, maintenir si je peux un état d’esprit d’accueil toute une journée de permanence, tout un dimanche. Ces visages sont des prétextes mais sûrement que l’exposition aussi est prétexte à quelque chose de plus vaste il ne faut pas l’oublier. De plus vaste et de tellement simple une fois toute la complication traversée. Il s’agit probablement de la relation à l’autre. L’autre quelqu’il soit et tel qu’il est. Tout comme ces visages peints ne sont rien d’autre que ce qu’ils sont.

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