un minimum de rituels

La liberté d’écrire ne peut se passer de l’habitude, de la contrainte, de rituels si minimes soient-ils C’est sans doute la solution trouvée, il y a longtemps déjà, pour me suggérer l’idée d’une discipline. Cela me dispense de réfléchir à la discipline que je pourrais véritablement installer pour écrire. Et surtout éluder une grande partie de ce que l’écriture représente comme effort à fournir pour devenir intelligible. La relecture ne fait pas partie de l’ensemble des rituels. Elle n’en fait plus partie.Sans doute parce que l’aridité que je ne cesse jamais d’y percevoir n’appartient pas à cette sphère proche de la magie, du fantastique, de l’épouvante que représente le geste d’écrire. Et pourtant relire est vraiment quelque chose d’épouvantable pour moi. C’est comme si il fallait se mêler de retoucher au miracle, à l’extraordinaire de ce qui m’a été livré, confié en amont. Une trahison ni plus ni moins. Et cette trahison n’est rien d’autre dans mon esprit que cette injonction à revenir à la norme, au bon sens, à la syntaxe, à la grammaire, si proche phonétiquement de grand-mère, et par conséquent à une forme encore plus singulière, plus aiguë, d’anonymat. Un lieu incarnant l’aride, et où le narrateur deviendrait tout à coup le plus misérable des êtres humains après avoir franchi les frontières des sept mondes ou des mille « moi » avec cette facilité déconcertante que je lui reconnais désormais. Relire ce serait revenir sur le plancher des vaches. Un acte bovin. Ruminer chaque mot, chaque phrase à contrario de la vitesse sidérante souvent avec laquelle ils ont été écrits en totale stupéfaction. Pourtant je relis. Je relis un minimum pour tenter de corriger quelques fautes de frappe, de ponctuation, de typographie lorsque je parviens à les déceler. J’ai arrêter d’utiliser le mode révision du logiciel Ulysses il y a quelques semaines de cela. Le mot correction et surtout l’arbitraire que je ne cesse plus d’y associer. Le correcteur orthographique ou de style incroyablement vieux jeu a finit par m’outrer puis me lasser complètement. Et ce meme si, durant un temps, j’acceptais encore d’obtempérer à ses injonctions sans trop y croire. Pour être un peu plus intelligible probablement. C’est à dire en imaginant beaucoup trop le lecteur. En me résolvant à l’idée qu’il puisse y avoir des lecteurs véritables. Encore une ambiguïté de taille à laquelle il vaut mieux ne pas trop penser pour écrire. Ni à cette autre ambiguïté de se sentir obligé de faire retour vers cette illusion qu’il risque d’y en avoir pléthore, d’y avoir une « audience » , un « public » pour se contraindre ainsi à se relire. D’ailleurs celui qui relit qui est-ce sinon le premier de tous ces quidam. Ensuite viennent tous mes morts qui, je l’imagine, ne cessent jamais de jeter un œil par dessus mon épaule. N’y aurait-il que cette audience ce serait tout à fait suffisant pour vouloir esquiver toute velléité de relecture. N’est-ce pas là, la source de la difficulté. Cette étrange association produite par mon esprit vis à vis des morts et toute relecture. Paradoxe supplémentaire de l’écriture puisque simultanément et plus j’avance, je crois de plus en plus fermement que ce n’est que de la mort elle-même que semblent surgir tous les mots. Je suis sans doute un écrivain mongol, dans tous les sens que j’attribue au mot mongol. Un nomade et un handicapé se rassemblant ainsi dans un même but et qui serait bizarrement « mon goal » assez proche de ma gaule dans tous les sens du terme pareil. Le pays comme le bâton pour gauler les noix, sans oublier l’argot et ce qui réside sous la ceinture sous le niveau de l’amer. Un nomade handicapé donc qui ne possède plus de cheval pour s’élancer, en le montant à cru, vers l’horizon des steppes infinies. Peut-être que rassembler quelques cailloux, quelques brindilles dans la nuit dans l’espoir de faire un feu, s’y réchauffer, bien avant l’apparition de l’aube, est le seul genre de rituel que j’ai pu fabriquer pour invoquer une monture imaginaire. Je me souviens de ce rêve récurrent que je faisais petit enfant, avant l’âge de 5 ans. Je rêvais d’un cheval. Il ne cessait de revenir dans les rêves presque chaque nuit. Sa présence se devinait bien avant qu’il ne puisse être distingué, et d’ailleurs le distinguer n’était pas le but. Deviner la présence de ce cheval qui était donc un compagnon onirique, un allié invisible devait être l’unique message de ces rêves. En tous cas s’était suffisant pour me retrouver soudain à tenir une crinière à respirer à pleins poumons l’odeur du cheval et éprouver physiquement, intensément la vitesse à laquelle nous fendions ensemble toute frontière comme on franchit des illusions. Un rituel constitué de très peu d’éléments, un rituel minimaliste, rien à voir avec tous les rituels de sédentaire qui nous ligotent au lieu et à la durée par la suite. Je crois que dès lors où j’ai commencé à obtempérer, à abdiquer, lorsque j’ai commencé d’écrire, mes tous premiers mots dans des carnets j’ai aussitôt saisi l’importance de ces rituels. Que je ne pourrai jamais plus m’en passer. Parfois même j’ai même été jusqu’à imaginer que l’écriture ne puisse tout simplement n’être qu’un prétexte pour redevenir mongol ou enfant ne serait-ce que quelques minutes par jour afin de pouvoir supporter plus confortablement tout ce qu’il fallait endurer pour être vivant tel qu’ici ce mot est concevable sans jamais y mêler la moindre exagération.

3 réflexions sur “un minimum de rituels

  1. Je comprends ton raisonnement, cette « une fois pour toutes « , la lancée d’une idée sous sa forme première, brute mais pas forcément brutale. Comme une sorte de trajectoire sans réversibilité possible, ou plutôt souhaitable. L’obstacle imaginaire est franchi , on ne revient pas en arrière. Mais il peut y avoir un plaisir à refaire le chemin, même longtemps après, remonter toutes les portes du temps en acceptant mieux les erreurs ou les approximations dans l’énonciation et sa forme imparfaite. On en reparlera si tu veux , car je vis tout cela très différement et le ressassement fait partie de mes rituels d’écriture, la relecture aussi. J’aime corriger les défauts comme on coupe des pousses fanées sur une plante qui grandit, que je laisse grandir justement sans savoir ce qu’elle deviendra.

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