ce que ça m’apprend

Second dimanche de permanence à la tour d’Orlienas. Le recul encore et toujours. Boulot ou habitude de peintre, réflexe. Ce que disent les gens sur ces visages imaginaires. Souvent le mot tristesse revient qui me replace aussitôt dans une proximité avec une des formes les plus aiguës de la honte en moi. Celle justement d’exhiber tristesse ou souffrance.Comme si à mon insu, j’avais peint ma tristesse profonde, congénitale sur ces toiles. En recevoir l’impression en premier lieu ainsi m’a fait vaciller. Il aura fallu que je puise dans toute la panoplie habituelle de réflexes, dont justement le recul pour montrer bonne figure, rester fair play. En fait assez peu l’ont exprimé clairement mais suffisamment pour que ce peu envahisse tout. Pour que cela empoisonne la vision globale que je porte sur cette exposition. Toujours cette habitude enfantine de tout voir en noir sitôt qu’un nuage passe. Dans un second temps l’expérience des expos, ce que les gens disent lors de celles-ci, pratiquer aussi ce recul pour observer l’entièreté du tableau. Combien de personnes ont parlé de tristesse sur l’ensemble des visiteurs, sans doute pas plus de deux ou trois sur une centaine en tout. Mais le fait que mon épouse m’ait déjà donné son ressenti de nombreuses fois sur ce qu’elle éprouvait à l’achèvement de chacun de ces tableaux doit jouer pour beaucoup dans cette réception. N’étais-je pas déjà parti des l’origine avec ce soucis de dépasser cette honte ressentie à chaque réflexion. C’est un combat quotidien de dépasser l’avis des autres sur la peinture, surtout si l’autre est le plus proche. Parfois je me demande si ce verdict de tristesse perçue je ne fais pas tout pour le déclencher inconsciemment sitôt que j’imagine, peins l’un de ces visages. C’est la même chose avec le mot « banal » ou « pas terrible ». Des mots qui ne semblent attendre qu’un écho provenant de l’extérieur pour réactiver de vieilles luttes en mon for intérieur. La perception de la tristesse, de la banalité, du pas terrible contiendrait en creux d’autres mots proches de l’espoir, de l’attente, d’une norme contre laquelle j’ai toujours été en guerre. Ainsi l’ancien maire qui entre dans la salle d’exposition fait un tour rapide, très proche du tour du propriétaire, et qui au moment de disparaître me lance un « ce n’est pas très gai ce que vous faites » En suis-je vraiment meurtri ? Pas vraiment. L’homme m’est antipathique immédiatement avant même d’entrer, de prononcer un seul mot. Je l’ai vu arriver sur un vélo électrique, observé sa façon de le garer soigneusement, puis une fois que sa silhouette est parvenue à ma hauteur, cet air hautain dont ne peuvent se départir les gens gonflés de leur propre idée d’importance. Y aurais-je perçu déjà que cette idée d’importance serait mitoyenne de sa propre idée du triste et du gai. La gaité, ce que ça peut bien être pour un ancien maire battu aux dernières élections. D’ailleurs rien en lui n’inspire la joie de vivre. Voici ma propre idée sur le visiteur, probablement aussi erronée que la sienne vis à vis de la tristesse. « Ce n’est pas très gai ce que vous faites » je cherche dans mon souvenir pour savoir si une fois j’ai eut ce culot de balancer ça à un artiste ou même, à un de mes élèves. Mais non, aucun souvenir de ce genre. Sans doute parce que je travaille depuis si longtemps désormais sur mes impressions premières à partir de mes peintures. Que la tristesse, la joie, tout comme laideur et beauté ne sont que des impressions souvent à dépasser au profit de l’équilibre, de la composition, de la gamme de couleurs, d’une proportion de gris, que l’ambiance globale d’une toile surtout si elle déclenche tristesse ou banalité sera d’autant plus à creuser. De la même façon que je perçois à contrario souvent dans les codifications affichées de la gaité comme de l’extraordinaire, une inquiétude, parfois même une morbidité . Une inversion de valeurs qui sans doute est en moi depuis le tout début. Une inversion repérée de si multiples fois. A commencer par ces « je t’aime » souvent suivis de claques ou de tannées dans l’univers familial. Comment ce qui dérange en soi peut-il se réduire soudain dans un réflexe verbal, le mot triste, gai, beau, laid a toujours été une énigme sans vraiment l’être. Le manque d’habitude d’aller creuser en soi et de trouver d’autres mots certainement, d’aller chercher surtout ses mots à soi, en non pas à chaque fois rabâcher des clichés pour se défausser. C’est pour cela que j’écris, c’est cela le vrai but, car je ne me considère pas différent de toutes ces personnes. N’ai- je pas aussi ce même genre de réflexe dans maints domaines dans lesquels je reste béotien. Qu’un garagiste par exemple me montre un devis salé pour une réparation à effectuer ne déclenche t’il pas aussitôt le réflexe de me sentir couillonné, est-ce que par défense je ne m’en remets pas moi aussi à ce cliché du garagiste véreux ? Écrire pour mettre les choses à plat, les examiner dans une autre dimension du temps que l’immédiateté. Encore ce recul qu’offre l’écriture. Puis la journée s’est peu à peu éclairée. Le nombre de visites, les conversations engagées avec quelques-uns ont chassé les ombres du matin. La migraine qui ne me quitte pas depuis plusieurs jours m’a laissé tranquille. Migraine qui provient sans doute plus que je veux bien y accorder d’importance de toutes ces interrogations concernant cette exposition, ajoutées aux soucis réguliers que dispense la contingence. L’après-midi une embellie. Rencontre avec une femme et son mari suite à un post sur un groupe privé Facebook annonçant cette expo. Une collègue de l’atelier d’écriture en ligne. J’avais espéré que d’autres viennent, des lyonnais ou lyonnaises mais c’est la seule qui se sera déplacée. Une conversation qui s’engage naturellement entrecoupée par l’arrivée de quelques élèves anciens ou actuels. Tout un réseau de conversations qui s’entrecroisent, finalement tout le monde discute ensemble. C’est aussi cela une exposition des gens qui se rencontrent et discutent ensemble, qui se mêlent à la conversation comme si converser était à la fois naturel mais pas seulement, permettait aussi de partager l’émotion, de se désensevelir quelques instant de nos solitudes souvent muettes, et tournant en boucle. Et dire aussi l’énergie qu’on retrouve à l’issue de ces rencontres ces conversations, je me rends compte que beaucoup moins fatigué que dimanche passé, plus de migraine du tout, le chemin du retour effectué sans hâte, le plaisir un peu trouble des chèques rangés dans mon portefeuille, trace des quelques tableaux vendus et dont je réserve la surprise à mon épouse. Puis la pensée que ces toiles se retrouvent chez des personnes avec qui je peux éprouver des affinités m’apaise encore. Sensation d’avoir fait le job, que je peux encore le faire malgré tous les sales moments traversés. Et puis dans la nuit qui se pose sur la ville les quelques pas que j’ai encore à effectuer pour rejoindre le domicile, le souvenir de cette femme veuve dont l’époux fut peintre. Elle m’a montré sur son téléphone portable les toiles. Essentiellement des paysages. Elle ne sait que faire vraiment de tout cela, les donner à la famille, les vendre… ce qu’il peut se passer après l’aventure de peindre ce qu’il peut advenir du travail, j’y ai repensé durant ces quelques centaines de mètres. Mais j’avais l’impression d’être beaucoup plus clair avec moi-même, j’ai chassé de mon esprit les images de vide grenier qui me venaient encore comme un réflexe. L’important ce n’est vraiment pas la postérité du travail. C’est l’immédiateté de tout ce que déclenche la peinture au moment où je l’effectue, tout ce qu’elle déclenche chez l’autre quelqu’il soit et qu’importe finalement ce qu’il en dit ou pas. Quelque chose se passe on ne saurait dire quoi vraiment et c’est sans doute très bien comme ça.

4 réflexions sur “ce que ça m’apprend

  1. Ce que les autres en disent ou en perçoivent et surtout ce qu’ils vous en disent… Autrefois étonnée de me retrouver face à un autre livre que celui que j’avais eu l’impression d’écrire, plus rien à voir… Stupéfaction. Et puis après finalement on s’en fout, seul compte le passage, son infime moment. Vous avez raison.

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