sans but

Si le but est cet objet à atteindre pour s’en emparer et ainsi devenir autre, l’intérêt m’échappe. Et non seulement je ne sais que faire de cet intérêt mais j’éprouve le besoin presque aussitôt de m’en débarrasser. Ainsi l’argent. Ce but apparent et qui est à l’origine de tant d’agitation. Même s’il n’est qu’un moyen de toute évidence, et qu’il se confond dans le concept de but par défaut tant que l’on n’a pas d’autre objectif que celui d’en obtenir pour contrer l’inquiétude. Ainsi travailler pour gagner de l’argent se résume à gagner de l’argent pour vivre, et ce pour la plupart d’entre nous. J’ai toujours été rétif à cette logique. C’est sans doute la raison pour laquelle j’ai pu supporter tant de travaux dits subalternes. Car quelque soit la tâche qui m’incombait, je l’examinais attentivement sous divers points de vue et finissais par faire du travail le but principal de chaque journée. C’est à dire à y trouver à la fois des raisons qui puissent me convenir d’être dans un lieu particulier, à une heure particulière en train d’effectuer une tâche particulière. Et c’est exactement ainsi, m’astreignant à y découvrir coûte que coûte des raisons, que je finissais régulièrement par en éprouver satisfaction et plaisir. Même si cela peut paraître exagéré c’est pourtant une vérité que j’ai ainsi découverte pour moi-même. Il s’agit certainement d’un récit que j’inventais depuis l’aube jusqu’au soir, qui ne s’achevait qu’au terme de chaque journée lorsque je posais ma tête sur l’oreiller et m’endormais ainsi du sommeil du juste. Ma journée avait trouvé son explication, il me paraissait inutile de remettre en question l’explication ou le récit ainsi inventé par moi seul pour moi seul et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’était avec le recul une époque heureuse car quelque soit la difficulté rencontrée elle participait à part entière à l’élaboration de ce récit journalier, c’était ni plus ni moins un rebondissement utile, nécessaire même à conférer un relief à mon existence de travailleur et d’écrivain en herbe. Sans doute maintenant que j’y pense, étais-je à cette époque lointaine, déjà écrivain avant même d’avoir pensé, imaginé, tenté d’écrire la moindre ligne. D’ailleurs sur quoi aurais-je pu me convaincre vraiment pour l’être. Les souvenirs scolaires, notamment en français ne me procuraient que peu ou pas du tout d’espoir de caresser ce type de projet . Même si souvent j’avais éprouvé en recevant le résultat de mes dissertations une amertume certaine d’y découvrir la note médiocre obtenue. Et simultanément le doute que ma copie fut lue par le correcteur dans son entièreté comme dans sa profondeur. J’imagine que ces réactions étaient dues à ma très haute opinion de l’état dans lequel je me plongeais quand je rédigeais ces dissertations. N’était-il pas le lieu extraordinaire dans lequel les idées venaient si aisément et s’enfilaient comme autant de perles sur le fil du récit. Sauf qu’une dissertation n’est pas vraiment un récit. Qu’il faut, pour en rédiger une qui tienne debout dans la réalité scolaire, suivre un plan tout à fait ennuyeux. La question à débattre, le pour et le contre puis enfin la conclusion sous forme de synthèse. Exercice qui ne sert au demeurant qu’à prouver que l’on a compris la nécessité de ce plan, que l’on a fait suffisamment de recherches pour documenter chacune de ses parties, pour valider l’idée que l’on soit normal dans un univers normal en produisant un résultat standard évidemment, normal lui aussi. Je ne sais pas ce qui, à l’origine, m’aura fait dévier de la volonté normale, je veux dire celle qui procure normalement l’envie d’ accueillir bras grands ouverts cette norme, au demeurant tellement confortable. Pourquoi me suis-je mis autant de bâtons dans les roues pour l’esquiver systématiquement. Je ne crois pas en avoir été vraiment conscient. Je veux dire que je ne me suis pas éloigné sciemment de cette norme. C’était plus fort que moi. Je ne parvenais pas à m’y contraindre. Et d’ailleurs, plus je tentais de m’appliquer à y pénétrer, plus c’était désastreux. C’est à dire que j’appliquais tout bien comme il faut à la lettre mais ensuite lorsque je récupérais le résultat, j’avais droit à une observation écrite en rouge, le reproche de n’avoir écrit qu’une suite ennuyeuse de clichés. Dans le devoir à faire je découvris une ambivalence, un doute, pour résumer autant de part de la fameuse pulsion de vie que celle de mort ou encore un équilibre mystérieux mais implacable entre amour et haine. Si j’écrivais ma pensée elle se transmutait en récit à dormir débout, si je recueillais les informations scolaires attendues elles se muaient en un ramassis de choses sans intérêt. J’étais coincé entre ces deux pôles tout autant que dans d’autres zones, extra-scolaires, autant dire que j’étais perpétuellement coincé partout. Que ce soit dans ma famille, avec les filles, avec mes camarades, mon ambivalence, c’est à dire au bout du compte mon abdication chronique à tenter de choisir si l’imaginaire ou la réalité devait être prioritaire pour s’exprimer vis à vis des autres, me plongeait dans une sorte de catatonie permanente. Pour que ça ne se voient pas je singeais un comportement normal. J’avais réussi tout de même à recueillir suffisamment de signes, d’indices, peut-être même de réflexes, au bout du compte , à force de répétition, pour parvenir à imiter ce que j’imaginais être un comportement normal. Ce qui fut, après la chance, la satisfaction, le bonheur même que m’offrit ce plagiat la pire des malédictions ensuite. Car non seulement je tombais dans une sorte de puit de solitude sans fin mais de surcroît je me retrouvais sans but. Je ne pouvais pas avoir en plus l’outrecuidance de croire à la notion de but que j’associais à une naïveté désespérante, probablement par dépit une fois le pot aux roses découvert en moi que j’en étais irrémédiablement dépossédé , lorsque je la percevais chez n’importe qui y compris les plus chers de mes contemporains.

Et aujourd’hui les choses ont-elles changées, je ne le crois pas. C’est à dire qu’aussitôt qu’un but se présente à mon esprit je ne cesse de l’examiner en tout sens comme s’il s’agissait d’un insecte et que je cherche dans ma mémoire à quelle espèce, quelle catégorie du déjà-vu il appartient. Puis une fois l’espèce, la catégorie identifiée je me contente de le coller dans un texte comme celui-ci par exemple avec son titre. Une manière de réaliser un herbier quotidien avec mes doutes, ma fameuse *ambivalence*, mon inaptitude chronique à m’installer à une place équidistante, confortable, entre le doute, l’imaginaire, la réalité et les certitudes.

Une réflexion sur “sans but

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