
Avec l’âge je dis que je suis de plus en plus ignorant. Tout ce que je croyais savoir je ne le sais plus. C’est à dire que je n’accorde plus la même importance à ce capital de savoir accumulé . Ne bénéficiant plus de mon attention, il s’évanouit peu à peu. Il fond au soleil noir de l’ignorance. Souvent il m’est facile de confondre l’ignorance et l’idiotie, la bêtise. Ce que je fais régulièrement dans mon perpétuel monologue intérieur. Et, si je pratique de la sorte c’est qu’il y a une raison. La principale à ce que je peux en rêver, imaginer, serait de ne pas perdre de vue la modestie. Encore que pour ce faire je sois encore bien immodeste justement en me traitant régulièrement d’imbecile. Ce que masque ce jugement, souvent intempestif, c’est un cadre de pensée qui se précise de plus en plus avec les années et qui m’émerveille autant qu’il m’effraie. L’intuition que les choses les êtres, les événements soient à la fois prédéterminées dans le temps comme si une intelligence surhumaine, un daemon, pouvait les contempler dans leurs causes et finalités mais que ce daemon lui-même était lui aussi soumis à des lois qu’il ignore. Que parfois à lui aussi quelque chose puisse lui échapper. Que certaines lois naturelles du vivant peuvent ainsi émerger pour des raisons aussi diverses que variées sans qu’on ne puisse les relier à du déjà existant. Cette ignorance dont je me moque tout en m’attachant à y rester vigilant régulièrement n’est certainement qu’un pâle et faible écho de celle de ce daemon imaginaire à qui je souhaite évidemment le même recul le même humour que j’éprouve ou répercute sur le monde et moi-même. Peut-être lui aussi reste- il attentif à sa propre ignorance, la cultive t’il, sachant mieux que personne qu’elle est le lieu de l’émergence de nouveautés. Évidemment, ces nouveautés ne peuvent être compréhensibles à l’humain que je suis, elles seront aussitôt considérées sous des aspects scientifiques, moraux, philosophiques. Je tenterais d’en fabriquer de nouveaux cadres de pensée. Me sauver encore de ce que j’imagine en bien ou mal de l’ignorance. Ainsi va la vie, ses aléas, son effroi comme ses merveilles.