Marengo

La petite dame est née en 1930 à Marengo, Algérie. Une histoire surréaliste encore une fois comme on en voit tant en réalité. Élevée par sa grand-mère qui toute son enfance se fera passer pour sa mère. Sa mère engrossée par on ne sait qui. Cette jeune femme volage qui quittera rapidement la ville neuve et qu’elle, la petite dame considéra, les rares fois où elles se croisèrent, comme une lointaine cousine. Tout le quartier savait, elle se souvient parfois. Elle le répète en boucle quand ça lui revient, comme une vieille blessure qui se réouvre, une humiliation cinglante qui l’extirpe de l’oubli dû à la maladie, une façon de tenir bon.

Le père on n’en parle pas. On ne sait qui il est. Aucune trace.

Quand elle se souvient elle dit j’allais à l’école à Marengo. Mais cette ville porte désormais un autre nom-Hadjout-Peut-on dire pour autant qu’elle n’existe plus. Quelles traces résisteraient encore à l’érosion. Fortuitement hier je découvre le travail de Xavier Georgin site qui m’a beaucoup touché. La notion d’exil qui m’est une fois de plus revenue en plein cœur. Et aussi une nouvelle confirmation, une confortation si je peux dire quant au fait qu’il n’existe pas de hasard. Que seul notre attention sans doute à ce que nous considérons comme hasard peut-être cet outil pour tisser des liens entre les choses d’apparences bizarres, voire totalement saugrenues.

Qu’un texte sur Istamboul se retrouve soudain inséré dans son travail sur l’Algerie ne m’étonne pas. La présence Turque en Algérie a bel et bien existée. Ainsi nos pas semblent nous conduire par des chemins d’errance qui n’en sont pas vraiment. Tout semble déjà écrit quelque part dans le grand livre de notre vie. Mais ce qui compte, comme pour tout livre, c’est seulement la bonne volonté du lecteur. Le nouveau nom de Marengo signale justement tout un pan d’histoire qui s’est achevé en 1830, date de fin d’une vassalité de l’Algérie aux maîtres Ottomans. Qui se souvient encore de la Régence d’Alger, de cette allégeance crée par la peur d’être sous le joug des Espagnols. De l’intervention des corsaires Barberousse, deux grecs convertis à l’islam qui jouèrent le rôle de diplomates entre les turcs et les populations de Bejaia puis d’Alger. Qui sait encore l’origine d’expressions administratives comme « ibn al-turki » fils du turc ou fils du serviteur.

Vingt ans plus tard (1851) Marengo remplace Meurad, ancien nom de la localité. Meurad a subit un sort étrange également puisqu’elle fut « déplacée » à quelques kilomètres seulement de la nouvelle ville. Peut-être que si la petite dame avait encore toute sa tête elle se souviendrait y avoir été. Cinq kilomètres tout au plus…

Ainsi l’oubli se présente ainsi à nous comme un fléau. Certains l’acceptent comme une donnée fondamentale de la vie, d’autres ne peuvent s’y résoudre. Exhumer des traces, des souvenirs, c’est se plonger dans toute une histoire. D’emblée je comprends le magnétisme qu’opère une telle quête. Tenter de raccrocher le présent au passé notamment. Mieux comprendre sa propre histoire. Relier une autobiographie à quelque chose qui la dépasse, et la dépassant nous libère du poids que tout exil semble provoquer. Cette sensation d’étrangeté au monde que je connais bien. Ainsi trois personnages pourraient se distinguer soudain pour écrire une fresque, un récit qui relie aujourd’hui et hier. Une vieille dame dont la mémoire bat de l’aile et qui revient de façon obsessionnelle à son enfance, à Marengo. Un homme qui manipule des cartes les presse entre ses mains pour tenter d’en extraire le visage d’un pays qui n’existe plus pour ses nouveaux habitants. Et puis cet homme torturé par l’histoire de son père ancien sous-officier durant la guerre d’Algérie par l’histoire d’un autre exil, celui dont il aura pris connaissance par la mère, la grand-mère les récits autour d’un grand-père inconnu estonien, en 1917 période où les soviétiques font main basse sur les pays baltes. À cela s’ajoute des bribes de souvenirs entendues dans l’enfance tout à fait surréalistes quand j’y repense. La mère de mon père aurait tenu un commerce à Alger. C’est tellement fugace, nul n’en parlait que parfois il m’a semblé avoir rêvé ces souvenirs. Lorsque j’ai déménagé la maison de mon père après son décès en 2013 j’ai retrouvé des cahiers dans lesquels il avait recueilli des notes sur l’empire Ottoman, sur l’histoire des sultans, l’Arabie des Abassydes. Et puis un sac en plastique au dessus d’une armoire dans lequel un béret rouge, des insignes, des médailles. Comment l’histoire passée impacte le présent et qui nous sommes vraiment, c’est un mystère. Il y a aussi une honte que nous avons comme tâche, que nous nous donnons comme tâche ou pour mission de transformer en quelque chose d’autre. Ce serait trop simple de parler de fierté et probablement bien trop symétrique. Mais explorer ces hontes, ces malaises éprouvés durant tant d’années par toute forme d’exil qui cherche à rencontrer l’autre, à se relier, à recréer quoi du pays, de la géographie, de l’orientation je crois que la beauté est d’autant plus touchante qu’elle ne sert à rien dans ce nouveau monde dans lequel l’oubli, l’immédiateté, sont devenus des mots d’ordre

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