
Stephen King suggère que si vous éprouvez le besoin impérieux de raconter votre vie à une personne, il est préférable le faire la nuit au fond d’un bar. À la condition expresse de consommer régulièrement pour dédommager le barman de l’attention plus ou moins sincère et polie qu’il vous adressera. Nos vies, quelles qu’elles soient, n’offrent que peu d’intérêt aux autres, et nos états d’âme encore moins. C’est une réalité à considérer aussitôt que l’on s’empare d’un stylo ou d’un clavier pour écrire. Sinon la déception n’en sera que plus cuisante. Inutile aussi de perdre du temps à se lamenter d’une telle réalité, d’émettre des jugements sur la nature humaine, sur l’immense souffrance de vous découvrir incompris. La nature humaine est ce qu’elle est, nul ne peut la changer. Si l’on persiste à ne pas vouloir l’accepter, on continue à marcher à côté de ses pompes. C’est exactement ainsi. Inutile de chercher à voir les choses autrement.
Un examen de conscience s’impose à partir de ce préambule, est-ce que j’ai vraiment envie d’écrire encore toutes ces histoires, de persister à raconter ma vie comme je le fais depuis des années désormais. Bien sûr que oui, je continue, prétextant que j’en ai dorénavant pris l’habitude, qu’à mon âge on ne change pas facilement d’habitude. Bien entendu, je peux aussi ajouter une excuse, un leitmotiv. Me répéter en boucle que grâce à ces textes que je rédige chaque matin, j’éprouve le soulagement d’avoir accompli au moins une chose utile pour moi durant ces fichues journées qui, pour le reste, ne cessent plus de m’échapper. Écrire est une action qui me fait du bien. J’éprouve cette sensation, difficile à remettre en question, et d’ailleurs souvent inexacte, qu’écrire procure un sens à ma vie. Le seul sens qui vaille tout compte fait. Et bien en amont de ce que me propose ma seconde activité, la peinture. C’est tellement romantique, tellement grotesque simultanément. Évidemment, je continue à me bercer d’illusion comme je l’ai toujours fait depuis ces quatre dernières années en écrivant et surtout en publiant sur ce blog. Mais, si je veux bien être honnête avant tout et notamment avec moi-même, le résultat est très loin de ce que j’espérais. Et, qu’espérais-je, voilà justement une excellente question. Je ne me souviens même plus de ce que j’espérais. Il faudrait peut-être remonter bien plus loin dans le temps pour tenter de retrouver la trace de cet espoir. Si toutefois un jour celui-ci a vraiment existé. Ce qui, me connaissant, est loin d’être évident. Probablement qu’il serait utile alors de revenir sur les lieux, de se tenir attentif quelques secondes avant même de pousser la porte de cette librairie découverte au hasard de mes déambulations dans la ville. Quelques secondes avant d’attraper sur l’une des étagères le tout premier carnet. Revenir dans le désagréable, le terre-à-terre d’une existence jugée médiocre. Revenir sur ces lieux dans lesquels s’affrontent toujours en moi la honte et la colère. La honte d’être tout à coup arrivé là où j’en suis, alors que j’imaginais valoir beaucoup évidemment bien mieux que ça. Et, la colère de ne pas m’être donné suffisamment de moyens, de n’avoir pas fourni suffisamment d’efforts pour m’élever justement au-dessus de cette médiocrité. Dans le fond, une histoire banale que tout le monde connaît par cœur. Une histoire tellement peu intéressante. Mais, précisément, comment la rendre attrayante cette histoire ? Pourquoi cette histoire peut-elle atteindre, intéresser, émouvoir, captiver l’autre, comment tenir le lecteur par les couilles depuis la toute première phrase pour qu’il ne la lâche pas, ne s’y ennuie pas, la lise jusqu’au bout. Comment s’y prendre pour qu’il atteigne, à regret la fin et que le peu qu’il en retiendra devienne une partie de lui-même, lui appartienne…
Jamais je ne me suis posé ces questions. Pourtant, ce sont à priori de bonnes questions, des questions essentielles pour qui prétend écrire. Alors je me demande à quelle part de moi-même dois-je, aujourd’hui, attribuer la responsabilité d’un tel oubli, d’un tel manquement, d’un tel empêchement, est-ce à la honte ou à la colère. Et, comment amadouer enfin l’enfant. Je ne vois plus que lui désormais. Un gamin qui depuis toujours se tient dans cette relation binaire avec le monde, la réalité de celui-ci, une relation que l’on ne saurait autrement nommer qu’imaginaire.
Non, pas par les couilles, mais intéressée jusqu’au bout. Le ton détaché ou désabusé des articles, sans complaisance aussi, fait que le texte se donne à lire et aussi il met en lumière tant de bonnes questions. Mais cette dureté toujours envers celui qui nourrit le blog. Mais cette affirmation dans « continuer à écrire » qui rassure malgré tout. Merci pour cette nourriture.
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Elle revient toujours, sporadiquement, ce que je nomme cette « crampe » du blogueur. Ce moment où l’on s’interroge en croyant n’écrire qu’à soi-même. Et puis? Va, écris.
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