souffrir

Tu te tiens encore debout même si la plupart du temps à cette heure du matin on te verra assis. Et tu penses à la souffrance générale. La souffrance du jour qui se lève avec le jour. On ne peut pas ne pas la voir n’est-ce pas. Tu ne cherches plus à t’en convaincre puisque chaque jour tu la vois tu la vis. Tu supportes. Tu endures. Toutes les stratégies sont à recommencer chaque jour car c’est par des angles d’attaque insolites que cette souffrance revient. La curiosité peut-elle être un atout vraiment d’examiner comment elle te surprend encore et encore et toujours cette souffrance du monde. N’aurais-tu pas autre chose de mieux à faire, détourner les yeux pour ne plus l’affronter en face. Mais elle est si présente qu’elle ne cesse de te terrasser désormais. Bien sûr la vulnérabilité que tu attribues à l’âge, à la fatigue de lui voir au final toujours le même nez au milieu de la figure. Vieille femme sans fard, impudique, obscène. Et pourtant tellement humaine. On tente de s’apaiser en ouvrant le traitement de texte, de s’exercer gentiment à la technique, au vocabulaire, à revisiter de vieilles règles oubliées de grammaire, mais on sent bien que l’on cherche à s’écarter ainsi d’un point à vif, d’une plaie sanguinolente, un point central. On prend son pouls, 90 battements par minute. On allume une nouvelle cigarette. On saisit la tasse de café tiède. On se débat. Une oscillation par petits gestes, de petits déséquilibres pour raffermir la croyance que l’équilibre le plus vrai provient de l’asymétrie. Mais ce matin quelque chose tourne à vide. Pas de joker. On doit se laver le regard des rêves. Entrée de plain pied dans le cauchemar. Rester debout tout en s’accrochant à son siège à sa cigarette à cette tasse à ce clavier. Se réinventer une dentition pour se dire serre les dents. Et soudain le souvenir de cette histoire de veillée funèbre. Le corps de Schopenhauer. Un dentier qui se carapate sous l’effet de la décomposition des chairs. La peur et le rire pour la contrer. Et encore l’envie d’écouter le canto general, de pleurer seul ici dans l’atelier. Tout n’est pas si pourri puisque il y a encore ça.

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