6h57. La proposition, des bribes de phrases que l’on entend dans une journée. Et je n’ai pas relu la proposition une seconde fois. Les cours du mercredi. Puis cette fois laisser passer la nuit en laissant la tâche de fond faire son job. la première phrase pourrait être ce « je n’y arrive pas« . Peut-être celle que j’entends le plus le mercredi, et qui se confond parfois avec le « je ne sais pas quoi faire », le « je n’ai pas d’idée ». Locutions spontanées qui me laissent de marbre désormais. Elle ne me sont pas adressées. D’ailleurs, c’est étonnant avec l’âge de constater que très peu de phrases nous sont véritablement adressées. La véritable solitude vient probablement d’un tel constat. On en a une vague intuition enfant, puis après une longue et fastidieuse vérification on finit par en être assuré. A moins que l’on s’efforce d’imaginer que rien ne nous sera plus adressé. Ce qui par association me renvoie encore à la littérature, à l’écriture. A cette vision monacale d’un Proust. Cette discipline qu’il s’impose de ne plus céder à la moindre frivolité. De s’enfermer. Possible que cet enfermement provienne du même constat. Comprendre une bonne fois pour toute que rien ne nous est adressé. Et de se demander alors que faire de toute cette maladresse reçue.
Lorsque le marchand de pommes de terre te disait–je vais te tailler les oreilles en pointe–, vers l’âge de 6 ans sur les marchés de Montrouge, Brune, Lefebvre, qu’elle idée d’enfant se fabriquait-il de toi, sinon la sienne. Et cette terreur qu’il t’imposait soudain, elle ne venait pas de l’imagination, c’est à dire d’éprouver physiquement la douleur du couteau pénétrant dans ta chair. Elle provenait déjà de cette prise de conscience que tu n’existais pas, que tu n’étais qu’une projection des autres à partir de leur propre souvenir d’enfance.
Se rendre dans un café, dans le brouhaha, s’enfermer dans ce brouhaha, parvenir à recréer une bulle au beau milieu de celui-ci, renforce la certitude de l’anonymat. Cet anonymat qui fait si peur au début puis qui avec les années devient un recours, une quiétude. Et je crois que publier chaque jour sur ce blog ne signifie pas autre chose que de tester la solidité de cette création personnelle. Créer son anonymat personnel plutôt que de se mettre systématiquement en position de le subir. Repousser encore un peu plus loin ses frontières chaque jour. Et soudain arrive le moment où tout n’est plus qu’écriture. Même passe moi le beurre.
Ce qui me conduit aux tableaux de Hopper encore une fois. A la puissance de l’anecdotique. Alors que tout le monde ne cesse d’avoir les yeux rivés sur un but important, ou encore le sens général, ou encore le gros lot du loto. Ce billet perdant que l’on froisse dans une main et que l’on jette en passant dans une poubelle. On n’y accorde plus d’importance parce qu’on n’a pas investi trop d’espoir non plus. « Comment ça va aujourd’hui, on fait avec. »
La morosité d’un tel enfermement parfois, un angle de vue obtus. Parce que tout simplement voir les choses en noir est plus fécond pour écrire que de les voir en rose. Les toiles d’Hopper ne sont pas dénuées d’humour, d’ironie, le sujet lui-même est déjà une sorte de pamphlet. De l’humour si l’on y réfléchit. Gas. L’enseigne « MOBI » Et ce cheval ailé qu’on y remarque, point focal du tableau. Pégase qui donne un coup de talon pour faire jaillir la source à laquelle viendront s’abreuver les muses. Pégase devient l’emblème d’un compagnie de pétrole ou de carburant. Ce carburant désormais de toute l’inspiration capitaliste. La source c’est celle du pétrole et c’est de là désormais qu’une monstrueuse création surgit. Donc l’inquiétante étrangeté peut aussi déclencher le sourire si on prend ce fameux recul, si on atteint le même sentiment d’anonymat que celui qui peint le tableau. Si on commence à voir se dessiner les tenants et aboutissants; si on découvre l’intention et que le peintre lui-même finit par disparaitre derrière cette intention.

Arrête ton cinéma cette phrase comme un ricochet sur l’eau. Le père de cette petite Louise gêné que je lui réponde que sa gamine flanque un joli bordel dans le groupe. Mais il ne fallait pas non plus me demander » alors comment ça va Louise ». Le fait de poser ce genre de question, c’est cela qui m’agace sans doute le plus. Comme si soudain nous nous installions tranquillement sur un pied d’égalité lui et moi pour parler de la petite fille devant elle. Ne manque que le whisky et les cigares, les pieds sur la table. « Alors comment ça va Louise ». – Oh Louise mon Dieu, cher ami, comment voudriez vous que je vous le dise… retirez lui les piles avant qu’elle vienne par exemple, ça vous irait comme réponse. Ah moins que tout à coup je vous demande, mais non de Dieu qu’avez vous fait à cette gamine pour qu’elle soit autant excitée et spécialement le mercredi à 17h ? Et Louise se marre évidemment, pour un peu elle nous en resservirait presque un petit, maintenant qu’on est en train. Arrête ton cinéma Louise répète le père sur un ton presque inaudible.
Hopper allait au cinéma, mais je crois que c’était plus le théâtre qui l’inspirait. D’ailleurs dans les années 20 les cinémas n’étaient ils pas des théâtres réaménagés la plupart du temps. D’où cette erreur de penser qu’il soit un peintre réaliste. Justement il arrête quelque chose en relation avec le cinéma. Il arrête le mouvement. Il revient soit en arrière soi après une scène dite « importante » il se moque du « climax ». Comme Hitchcock tout un art de ménager le suspens, de le fabriquer à partir de petits détails. La peinture à partir de la photographie, de l’image en mouvement, est forcée de faire avec cette nouvelle donnée : d’arrêter son cinéma. Pollock s’en fout, il se fout totalement du sujet, il botte en touche. Il se carapate dans le chamanisme. Ce que ça va donner sur Louise tout ça, on ne le sait pas. Mais ne me demande plus « alors comment ça va avec Louise » et sur ce ton tellement condescendant. Ressers -moi encore un petit, Louise.
Je n’aime pas les gens, je n’aime personne, elle me lâche ça en tirant une bouffée de sa cigarette électronique . La nuit devant le bâtiment, éclairage public, égouttement des feuilles de l’olivier dans le pot. j’étais sorti fumer une vraie cigarette, retrouver ce petit moment de tranquillité, habituel, vers 20h. Elle est sortie presque tout de suite après moi. On discute à peine 30 secondes qu’elle me dit que rien ne va. « Je n’aime personne je n’aime pas les gens« . Et puis elle enchaine avec j’ai commencé une psychothérapie. Quelle erreur j’allais dire, elle était en si bon chemin. Mais je me suis contenté de hocher la tête.
17h38 des bribes, des petites touches, beaucoup de blanc. Un effacement mais qui ne fonctionne que s’il y a quelque chose de lourd installé au préalable.



Et de se demander alors que faire de toute cette maladresse reçue, oui
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