Carnet 22

perdre un livre

3h. Se souvenir d’un livre, non, cela impliquerait une volonté, celle de vouloir se souvenir, la volonté du sujet de revenir à lui-même. Revenir à ce surgissement soudain du livre dans l’esprit et tenter de l’observer. Collecter du mieux possible, mais sans viser à l’exhaustivité, en écartant la peur de manquer, de ne pas suffisamment contrôler, et donc accepter le risque de submersion, cette multitude de souvenirs attachés à l’ouvrage. La première image qu’elle est-elle, quelle représentation tout d’abord. Son format, vaguement, une couleur générale, une épaisseur, son poids réactualisé par cette absence. S’apercevoir tout à coup, être surpris, ne pas le sentir présent entre les mains au moment même où l’on s’interroge sur l’endroit où on l’aura déposé, la toute dernière fois. Puis son odeur, toutes les informations liées au toucher, le contact charnel avec sa couverture, le grammage fin ou épais des pages qui le composent. Sa souplesse ou au contraire sa rigidité, sa résistance. Une silhouette un peu vague que l’on cherche ainsi à se re-préciser, un fantôme pas tout à fait anonyme, pas familier tant qu’esperé. Un doute.

Puis le retour, par vagues plus ou moins fortes, le flux et reflux des lectures. De ces moments qui s’ajoutent dans une durée, mais dont en est aussitôt perçue l’étrangeté de sa teneur. Une teneur géologique composée de strates hétéroclites. L’irrémédiable et l’érosion. Le deuil et l’enfouissement, l’ensevelissement.

Impossible de remettre la main sur le journal de Kafka. Y avoir pensé plusieurs fois durant ces deux dernières semaines. Une sensation lancinante proche de l’inquiétude, presque une angoisse, un préambule à la panique. Ce que c’est de perdre un livre. La culpabilité aussitôt comme celle éprouvée de perdre une personne amie. D’avoir trahi une amitié par négligence, manque d’attention, manque d’égard. Se ressaisir étant bien sûr possible, si facile désormais l’idée du remplacement. Enfin se rendre en ligne. sur une plateforme de vente en ligne. De préférence un achat d’occasion. Recyclivre. 6,95 € livraison gratuite en point relais si la commande est supérieure à 10 €. Alors se souvenir d’un autre absent, aidé en cela par la conjoncture, les circonstances, une configuration d’indices. « Le très-bas» de Christian Bobin, pas retrouvé non plus ces derniers jours.

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