


Le silence est un malentendu. Souvent. Ce n’est pas parce qu’il y a du bruit que ce n’est pas silencieux. Ce n’est pas le contraire non plus. Le silence vient de soi. Une locution qui ne va pas de soi. Peut-être beaucoup de travail pour saisir cette différence. Comme en peinture voir.
Ici une parole rapportée par Charles Juliet lors d’un entretien avec Bram Van Velde. Ce que dit le peintre pourrait correspondre à ce que dit Beethoven, du fond de sa surdité. Car c’est connu, il vaut mieux être sourd que de ne rien entendre.
« La peinture aide à voir. Elle fait de la vie, de la complexité de la vie, quelque chose que l’on peut voir. Elle rend visible ce qu’on ne sait voir. Je cherche à voir alors que tout, dans ce monde, nous empêche de voir. Pour l’artiste, c’est tout ou rien. Si ce n’est pas tout, ce n’est rien. Je peins l’impossibilité de peindre. Dans ce monde qui m’écrase, je ne peux que vivre ma faiblesse. Cette faiblesse est ma seule force. L’artiste vit un secret qu’il lui faut manifester. Je ne peux rien dire, rien expliquer. La toile ne vient pas de la tête, mais de la vie. Non, je n’ai rien fait. J’ai donc intensément travaillé. Je ne fais que chercher la vie. Tout ça échappe à la pensée, à la volonté. Il est terrible de vivre quand on est sans pouvoir sur les mots. Le peintre est celui qui ne peut se servir des mots. Sa seule issue, c’est d’être un visionnaire. Le plus difficile, c’est de ne pas vouloir. Il faut que tout prenne fin pour que ça puisse commencer. On vit de drôles de choses. Ce qui rend une toile fascinante, c’est sa sincérité. La sincérité est quelque chose de si rare. La plupart des gens n’osent pas être sincères. Je sais fort bien qu’une toile ne peut être qu’une chose bizarre, incompréhensible. Je pars sur la toile, et progressivement, c’est elle qui impose sa solution. Mais une solution difficile à trouver. La toile n’est pas une lutte contre les autres, mais contre soi-même. Il faut une telle énergie pour peindre. Parfois, on travaille, on fait ce qu’on peut, mais on n’est pas récompensé. La chose échappe, on reste dehors. Ce monde mécanique nous asphyxie. La peinture, c’est la vie. La vie n’est pas dans le visible. La toile me permet de rendre visible l’invisible. J’ai besoin d’aller vers l’illogique. Ce monde où l’on vit nous écrase. Il est toujours régi par les mêmes lois. Il faut créer des images qui ne lui appartiennent pas. Qui soient totalement différentes de celles qu’il nous propose. La peinture ne vit que par la glissade vers l’inconnu en soi. Ce n’est pas facile de voir. Il faut même un certain courage. On ne l’a pas tout le temps. Ma peinture, il est important de voir qu’au fond, elle stimule. Elle n’est nullement quelque chose qui désespère. Il n’y a que le présent. La toile est un instant qui échappe à la perdition. Je me sens lié à la vie. A l’immensité et la complexité de la vie. Chaque toile un élan vers la vie. La vie est un combat. La peinture aussi. La toile, c’est l’instant vu. La peinture est un besoin vital. Il faut donner une image jamais vue. Il faut montrer l’invisible. Je n’ai cherché qu’à être un homme libre. Voir, c’est vivre l’inconnu. »
Galerie illustrations : œuvres de Bram Van Velde.