carnet 27

suivre son double sans le doubler. ( toute une journée si possible) donc il faudra revenir pour suivre le développement. Comme d’ailleurs dans toute cette série carnet, j’ajoute après publication je mets à jour. la publication ne valant guère qu’un top de départ. un jour il faudrait une conversation véritable sur cette affaire de publier sur un blog. Parler des tenants et aboutissants. Ce que ça déclenche de publier. Ou justement ce que ça ne déclenche pas ou plus.

8h. Il se lève, marche traverse la chambre sans bruit, ouvre la porte, la referme. le voici dans le couloir sa main cherche l’interrupteur , le trouve et le plafonnier éclaire cette silhouette désormais. Un vieil homme en slip au milieu d’un couloir. Mais je me place désormais derrière lui, sans bruit. j’essaie de ne pas m’en moquer comme ces saltimbanques dans les rues, à la terrasse des cafés qui, pour glaner quelques rires, quelques applaudissement, ou pièce d’argent, imitent la démarche des passants. J’essaie mais il y a de quoi rire tout de même.

En symbiose. je peux le voir, l’entendre, et connaître ses pensées– ce qu’il voit ce qu’il respire–tout..

mais je ne vais pas tout écrire. un peu de pitié pour le lecteur.

La Dacia peine à démarrer. Trois essais. trois plis barrent le front du double. puis ça démarre. soulagement apparent. Bouche qui s’ouvre, avale une grande bouffée d’air. Buée sur le pare brise.

qui observe le double. l’enfant qui observe son père. l’ado qui cherche à se comparer, l’adulte une amitié. le vieillard qui sans cesse effectue des comptes des bilans.

La femme du garage qui accueille le double se plante devant lui, menton légèrement levé elle parait plus grande qu’elle n’est. plus hautaine en tous cas. Je jette un coup d’œil rapide à l’accoutrement dans lequel il se rend dans ce garage. Mon Dieu, jean taché de peinture, barbe de trois jours. pompes dégoûtantes , tâchées de peintures également. l’affichage éhonté d’une précarité. fut un temps où cette précarité lui aurait fait honte. mais plus désormais. Est-ce qu’il s’en fout, ou bien est-ce une sorte de revanche, même lui le double n’y a jamais vraiment réfléchi.

Nous laissons le véhicule. nous revenons à pied. il y a du brouillard. Il boitille devant moi. arrivons ainsi dans le centre du village. il sort son téléphone portable et prend une photographie. un tas de feuilles mortes au sol semble le fasciner soudain.

10h16

retour dans l’atelier. Le double est vacillant. on dirait qu’il cherche sa place. s’asseoit. observe les toiles en cours. Il n’a pas l’air réjoui. Il n’a pas d’air du tout. c’est encore une autre figure du double. Hermétique. il semble que — contre toute attente — même moi ne peux en saisir la raison. Il est un peu chiant ce double.

15h 35

pauvre vieux. Il s’est emparé du premier livre qui traînait sur la table, dans la bibliothèque. Par une coïncidence folle , le titre est la confusion des sentiments de Zweig. Ce vieux prof qui reçoit de ses étudiants une somme de tous les articles rédigés par lui au cours d’une vie. Et dont il dit que l’essentiel manque. Et Zweig de parler de son double de façon si peu dissimulée. Ce jeune homme, de vieux professeur et mentor. Et là que fait mon double, il se met à lire le livre à haute voix en marchant d’une pièce à l’autre. Et évidemment je le suis comme je peux. Je n’en crois ni mes oreilles ni mes yeux. Ainsi donc ce vieux barbon peut encore me surprendre…

aparté.

Ce qui est surprenant, c’est de l’entendre lire sans la moindre hésitation, sans le moindre bafouillage comme s’il connaissait le texte par cœur. Ou que la fréquentation de celui-ci soit si régulière, si intime, qu’il puisse l’incarner à un si haut degré de perfection. Et soudain tout pourrait basculer. oui soudain on ne saurait plus du tout qui est qui. Le temps se replierait sur lui même, peut-être même que si je m’approchais d’une fenêtre et que je glisse un coup d’œil vers l’extérieur, nous nous retrouverions alors à Berlin. La neige recouvrirait les toits et la chaussée, j’y apercevrais un fiacre, des silhouettes, les lueurs de la ville, presque sa sonorité. peut-être serais-je alors moi-même ce jeune étudiant et mon double le vieux professeur. peut-être même l’inverse, il semble qu’à ce point des choses si insolite, cela ne recouvrirait pas la moindre importance.

autre aparté

Et si ce n’était pas Berlin ni même cette petite ville universitaire dont j’ai perdu le nom. Mais Lisbonne. Et si devant moi ce n’était plus moi ni Zweig ni ce jeune étudiant ni ce vieux professeur mais cet homme qui porte un chapeau entre mille reconnaissable. Si c’était l’homme au chapeau accompagné de tous ses hétéronymes. mais allons plus loin encore, clignement d’un œil et revenons à Prague dans ce cas. Revenons donc au fameux pont. Ou au vieux cimetière juif. Et il pourrait presque y faire nuit. les vitrines des magasins projettent sur l’asphalte des rues leurs chiches lueurs. Et devant moi cet homme, d’une vulnérabilité flagrante qui tient sous son bras un journal et qui marche et que je suis à bonne distance, dans la ville. Et à cet instant l’horloge sonne. mais impossible de compter le nombre de coups, déjà mon regard est attiré par un manège de chevaux de bois, une odeur de marrons chauds. il fait soudain plus froid et mon double mystérieux observe la même scène que moi. pour un peu il suffirait que nous tournions la tête l’un vers l’autre… mais nous ne le ferons pas.

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