
« Jouons, jouons. Le carnet se plie à toutes nos transmutations, conversions, altérations, transfigurations, mutations ou évolutions. Il les accompagne, ou y résiste. Se rebiffe, ou les consigne et en dresse soigneusement l’inventaire. Un cycle qui soit 40 fois ces mutations symétriques du carnet, tant pis : il y a des cases noires et des cases grises, des cases en couleur, des moments d’euphorie et d’autres de repos, enfin certains où on n’ira qu’en renâclant. Aujourd’hui c’est ça et demain rattrapera. On travaille au rétroviseur : la journée qui vient de s’écouler, ou celle qui va pour nous se dérouler, parce qu’on est très bien capable d’accomplir des choses dont on sait très bien qu’il vaudrait mieux ne pas les faire. I would prefer not to, dit Bartleby, bien sûr vous l’avez lu et relu, mais sinon il y a PDF dans le dossier ressources : Bartleby préfère ne pas accomplir les tâches même modestes qu’on lui demande, et pour lesquelles pourtant il est salarié. Le carnet nous accompagne, dans la poche arrière ou le coin du sac, tout aussi bien dans la journée de travail, les visages du travail, les lieux du travail. On ajoute à Bartleby ce dispositif optique moderne qu’est le rétroviseur : ceci, qu’on a effectué, il aurait mieux valu s’en abstenir. On l’a appris après, à nos dépends ou aux dépends de quelqu’un d’autre. Ou pire : on n’a pas eu à l’apprendre, parce qu’on le savait d’avance, aussi bien pour ce qui concerne ce « à nos dépends » que pour ce qu’on en a infligé aux autres. Et surtout, on ne disserte pas. Ce rythme en 480 caractères et paragraphe monobloc, bien sûr il serait monotone si tout le monde s’y pliait, mais jusqu’ici on n’y a jamais réussi. Cela aussi c’est à vos dépends : écrivez plus long, cela n’induira pas forcément plus de temps de lecture pour celles et ceux qui pourtant vous accueillent de bonne volonté. Aiguisez, c’est tellement mieux. Affûtez. Condensez. Dans une journée, celle qui vient de s’écouler, celle qui va nous accueillir, il y a tant et tant de gestes, paroles, actes, pensées, qu’on n’aurait pas dû. Évidemment, une et une seule, ça complique. Mais c’est le choix même qui permet de préciser les bords, et affûter, condenser, aiguiser ce qui reste. On doit voir au travers, on doit penser la transparence des mots. Ça tombe bien, pour la précédente, donc la #28, c’est exactement le contraire qu’on a fait. Le carnet aujourd’hui s’en va au négatif. Le pas dans « on n’aurait pas ». Et qu’on l’a fait quand même, qu’on ait su par avance ou rétrospectivement seulement, qu’il aurait été tellement préférable de s’abstenir. A contrario, qu’est-ce qu’on a bien fait de lancer ce cycle, et au quotidien. Non ? À vous. » 29 ème proposition sur 40 Atelier d’écriture Le grand carnet FB TiersLivre
4h15
Je n’aurais pas dû.
Cette dette je m’en serais dispensée que ce ne serait pas plus mal car par avance je le savais bien sur mais il me fallait encore une fois pousser le bouchon déborder contracter ce genre de dette comme on contracte des bestioles des maladies un handicap et voilà ce fut plus fort que moi puisqu’ impensable que je ne me flanque pas pareille dette sur le dos la même exactement qu’il y a deux ans jour pour jour et il est au bout du compte fort possible que sans des dettes de ce genre récurrentes comme perpétuelles je vive une vie des plus simples une vie si simple trop simple dont la simplicité m’effraie a un si grand degré qu’il me faille la compliquer par avance avant d’être acculé c’est à dire me retrouver dans une impasse définitive c’est à dire encore empaillé sur le rebord d’une cheminée juste à côté de la sainte-vierge en plâtre d’une boule de cristal et bien évidemment du pot pourri des remords des regrets que je n’aurais pas eus.
4h44
le regret de ce dû qui aurait pu m’échapper si au-delà de toute raison raisonnable je n’avais pas foncé dessus cet intolérable regret dont il m’est impossible de me dispenser toutes les fois où je le vois pointer le bout son nez et que bien sur j’attrape avant qu’il ne sauve c’est la nostalgie quelque sentiment avant-coureur de celle-ci de celui-là de ce regret assurément qui me porte à faire tant de choses que je ne devrais pas, car je ne le devrais pas c’est si évidemment qu’on ne le devrait pas car encore ce qui est dû reste encore à devoir et que ce devoir maintient en vie n’est-ce pas repousse la mort une façon moderne si l’on veut de vivre à crédit puis de se plaindre d’en avoir pour son argent de recevoir la monnaie de sa pièce de rester mécontent d’ être mode quoi