
Lorsque quelqu’un me ment ou se ment à lui-même devant moi j’éprouve aussitôt le besoin de m’en écarter. La plupart du temps désormais par un sourire, un silence. Autrefois c’était différent j’entrais dans des colères soudaines autant qu’ incompréhensibles pour les autres comme d’ailleurs pour moi-même. Plus jeune le mot qui me venait confusément pour expliquer ces colères était l’injustice. Je pensais qu’il était injuste que l’on me mente ou que l’on se mente ainsi à soi-même en me prenant comme complice ou témoin. Ou encore que l’on m’imagine ainsi simple d’esprit. Mais l’injustice est trop proche d’une idée de morale. Je crois qu’il s’agit beaucoup plus de fausseté au sens musical de ce terme. Mon oreille repère un couac, une fausse note et cela me met en rogne. Voilà la vérité. Et c’est d’autant plus étonnant que, personnellement je ne me considère nullement musicien. Il s’agit sans doute bien plus d’ une discontinuité dérangeante, perturbante dans un continuum de mots, de gestes, d’émotions et contre quoi quelque chose provenant du tréfonds de moi-même se heurte tout à coup. Et dont à ces moments là, vraisemblablement, je ne sais que faire, que penser, qu’éprouver, sinon que l’on m’impose ainsi un laisser-aller, un manque de respect, une certaine forme de vulgarité.
Lorsque je repense à ces colères d’autrefois sans doute n’étaient-elles dues qu’à la crainte ressentie par anticipation d’être moi-même pris la main dans le sac à fausser une vérité. Ce qui ce sera produit assez régulièrement et ce depuis l’enfance. Si j’essaie de trouver une raison à ce comportement– cette fabrique permanente du mensonge– je dirais que non seulement je ne disposais que d’un sens moral assez limité et que de plus je me suis toujours méfié de toute vérité brandie comme prétexte ou comme dogme. Car, dans le fond des choses, qui donc sait la vérité sur quoique ce soit. Personne. Certains pensent qu’ils sont dans une vérité et voilà que lorsqu’ils veulent l’exprimer ou pire l’imposer aux autres — ils se trompent ou trompent l’autre. Assez souvent à profit– c’est qui est insupportable d’autant plus. Et en plus nombreux sont-ils qui y croient dur comme fer. Ils invoquent même la loi si besoin. Mais qu’est-ce que la loi aujourd’hui ? Ce qui les rend souvent ridicules ou inquiétants. Alors que si l’on prend l’habitude d’élaborer des mensonges consciemment– autrement dit des fictions, je crois qu’il est possible, avec le temps et beaucoup de patience, d’obtenir une bien meilleure oreille. Non pas une vérité mais un sens amélioré de l’ouïe.
Maintenant il faut choisir le lieu. Ce ne peut-être dans la vie ordinaire évidemment. Elle est déjà bien trop dure à vivre — sans , qu’en plus l’ on se rajoute des complications supplémentaires. C’est probablement l’écriture qui est le lieu par excellence, l’atelier, le laboratoire. On prend un mensonge on l’explore de fond en comble et ce n’est pas rare qu’au bout on n’éprouve pas enfin un peu plus la sensation de cette fameuse justesse. Et ce n’est pas une affaire d’idées, pas plus que d’émotions, pas même d’organisation. C’est juste une façon de dire les choses je crois. Un ton. Je veux dire que personnellement je sens immédiatement si un texte est juste ou faux à l’oreille. Comme autrefois les paroles. J’en perçois l’écart sur la portée. Mais je ne me mets plus en colère. Un sourire, un silence. J’éprouve même parfois une étrange gratitude de tomber sur ce genre de textes qui ressemblent tellement aux miens. Cela me permet de me relire d’une certaine manière moi qui ne me relis que très rarement. Cela me fait réfléchir. comme quoi l’humilité aussi peut arriver ainsi par l’ouïe. Autrefois on parlait de l’entendement, ce n’était pas si bête. Pas bête du tout.
Le mot intégrité tourne en boucle dans mon esprit depuis plus d’un mois. J’avais bien l’intention d’écrire sur cela aujourd’hui, mais bizarrement voici que c’est la justesse qui vient se coller à sa place. Je cherche le lien… j’écoute le silence qui surgit après ces mots. Est-ce que ça sonne juste ou faux je n’arrive pas à l’entendre encore. Mais c’est dans la régularité aussi que l’on apprend à entendre n’est-ce pas. Que l’on devient aussi un peu moins sourd surtout à soi-même.