
Toujours énormément peiné sur la notion de but. Déjà dit de nombreuses fois sur ce blog. Ce qui fait peiner à partir d’un certain âge c’est de perdre son temps. C’est que l’on ne voudrait surtout pas perdre ce temps de plus en plus précieux en se trompant de but. Et malheureusement la méthode que j’ai le plus souvent utilisée c’est celle d’aller au bout des buts qui n’en sont pas vraiment. Des buts à la mode, des buts illusoires. Ce texte naît d’une réflexion sur la vie du peintre Chagall. Pourquoi un simple boulot de commande, des illustrations qu’il avait à faire sur la Bible devient le cœur de son œuvre. N’a t’il pas par accident, ce qu’on nomme le hasard découvert un but qui allait bien au-delà de la réalisation d’un travail que l’on pourrait considérer comme alimentaire. J’imagine qu’en se mettant au travail un but s’est ainsi trouvé collé à l’évidence. Tous les astres se sont retrouvés alignés. Ce serait ça un but digne de ce nom. Un alignement de planètes. Une configuration qu’on ne saurait remettre en question. Et qui nous impliquerait par une mystérieuse alchimie dans cette configuration. C’est ce que j’attends depuis des années, depuis toujours. Et probable que ce n’est pas la meilleure des postures qui rendrait l’apparition de cette grâce favorable. Aussi des années que j’´ai renoncé à cette posture de l’attente. Que jour après jour je me mets au travail dans une régularité de métronome, sans rien attendre d’autre que de mener cette simple tâche à bien c’est à dire de l’effectuer quoiqu’il puisse advenir. S’enfoncer dans cette volonté de non but n’est pas une petite affaire. C’est qu’on les voit défiler justement tous ces buts toutes ces illusions. On se retrouve un peu comme Tantale l’assoiffé qui voit passer l’eau mais qui ne peut la boire. Qui s’interdit lui-même de se désaltérer parce que cette satisfaction n’est qu’éphémère, qu’elle n’étanche aucune soif. Parce qu’il faut s’asseoir au milieu de la soif comme au milieu de l’ennui et constater de quoi elle se constitue aussitôt qu’on veut bien la penser, la conceptualiser. Une soif inventée de toute pièce par la pression atmosphérique, par l’extérieur. Mais si l’on se tient suffisamment sage et immobile, si au lieu de s’en faire une ennemie on la considère comme une malheureuse, une démunie, que l’on cherche à dialoguer avec elle sans fausse compassion, sans bienveillance exagérée, car elle est rouée comme tout ce qui est humain, alors quelque chose se produit dans l’énergie. une inversion électrique qui entraîne la découverte surprenante : cette soif a besoin de moi, elle ne peut réellement exister sans moi. c’est le moi dont elle se fait le but en soi.
Ce qui se produit ensuite c’est la représentation de tous les buts qui défilent comme sur une scène de théâtre devant l’être et la soif comme spectateurs. Ils jouent leurs rôles, tragiques ou comiques avec le plus grand sérieux ou une nonchalance de mise. Ils brouillent tellement bien les pistes. Et c’est à ce moment là que les spectateurs se donnent de petits coups de coude. C’est à ce moment là qu’ils se disent mutuellement tu as vu, rien de bien extraordinaire et justement c’est cela l’extraordinaire. Et comme un but qui dépasserait la tête de tous les autres, le banal serait démystifié. Le banal serait ce miracle justement que tu attendais depuis toujours sans parvenir à déposer le fameux grain de sel sur sa queue pour l’attraper.
Que le Christ soit présent sur les tableaux de Chagall, une énigme pour certains. Mais si l’on en revient au fameux but, pas vraiment. Il ‘faut de toute évidence sacrifier un agneau quel qu’il soit, une certaine forme d’innocence pour être en mesure d’ offrir une connaissance de lui-même au monde.