
Jimmy dit qu’il y a toujours un prix à payer, que rien n’est totalement gratuit. Même le simple fait de se réjouir d’un beau visage, une fleur, un oiseau. Probable que juste après tu te prendras en pleine figure ou dans l’entrejambe un des milliers poteaux de cette ville. C’est la loi bizarre des choses d’ici-bas, ajoute Jimmy en hochant la tête. Il ne s’en attriste pas , il évoque à mi-mot cet axiome. Toute action comporte une réaction voilà tout. Il dit c’est le karma. Et durant un assez long moment de ma vie, pendant que je fréquentais Jimmy, et même après que j’eus quitté l’hôtel de la rue des Poissonnier au 35, près de Château Rouge, je peux dire que j’étais plutôt convaincu par ses dires.
Jimmy loge dans la chambre au dessus de la mienne. Un meublé en tout point semblable au mien. A part la table ronde et l’organisation de mon chaos personnel qui repose sur celle-ci. Une table que j’imagine être une véritable table d’écrivain. Et tu écris quoi au juste demande régulièrement Jimmy. Ce à quoi je réplique toujours : des choses, qu’en fait je m’entraîne à écrire. Cela l’étonne quelques minutes puis il me répète qu’avec mes connaissances générales, mon intelligence et mon bagou je pourrais vivre une autre vie. Une vie moins misérable que celle que nous vivons dans cet hôtel. il paraît sombre quand il dit ça comme s’il pensait à sa propre vie et à l’absence d’opportunité dont il m’a déjà parlé plusieurs fois. Maghrébin à tête de rasta il est né il y a environ une cinquantaine d’années dans un bidonville de Casablanca au Maroc. Il n’a presque jamais mis les pieds à l’école et arrivé en France vers l’âge de 16 ans il s’est loué comme manœuvre dans le bâtiment, la plupart du temps sans être déclaré, sans couverture sociale, sans congés payés. Il a tellement effectué de jobs au cours de sa vie depuis qu’il est ici qu’il est habile dans tous les corps de métiers. Sauf l’électricité qu’il ne veut pas toucher car, dit-il cela demande beaucoup trop de calculs à effectuer. Surtout désormais avec toutes les normes en vigueur. De mon côté je suis épaté par ce type touche à tout alors que je ne sais presque rien faire de mes dix doigts. Quand nous nous retrouvons parfois certains soirs dans l’une ou l’autre chambre nous partageons ensemble un repas et buvons quelques bières en écoutant de la musique. C’est un fan de bob Marley dont il cultive d’ailleurs la ressemblance en portant des chemises à fleurs et des dreadlocks. C’est totalement démodé tout comme mon aspiration à devenir l’un de ces écrivains américains que je lis et relis pour me donner du cœur au ventre. Je ne sais pas du tout ce qu’est devenu Jimmy cela fait bien plus de trente ans que je ne vis plus à l’hôtel. Mais à chaque fois que j’entends du reggae je repense à lui. comme aujourd’hui où, après avoir cherché ce titre de Jimmy Cliff, j’ai éprouvé dans les guiboles comme une resucée de ma jeunesse. De ce temps sans doute faussement merveilleux où j’entretenais ma propre légende et ne cessais jamais d’en créer facilement à propos des autres.