
La différence te saute aux yeux sitôt que tu aperçois quelqu’un qui veut être cohérent alors qu’il ne l’est pas. C’est pour ainsi dire un sixième sens que tu as développé depuis l’enfance. Autrefois percevoir cette différence t’effrayait. c’est sans doute pour cette raison que tu faisais ces rêves de personnages masqués qui, lorsqu’ils les retiraient devant toi, ne laissaient plus voir alors que des corps décapités. Effroyable comme sensation. De véritables cauchemars. Puis l’effroi s’est peu à peu déplacé dans la réalité de tous les jours. Cependant que ce sont plus des somnambules que tu vois désormais. Des gens qui dorment et qui semblent animés par des programmes qui tournent en boucle, des batch qui leur imposent de temps à autre de parler tout haut de cohérence comme pour mieux encore enfoncer ce concept dans leur vie de somnambule. Ce qui fait toujours le même drôle d’effet. Ce n’est plus aussi effrayant qu’autrefois évidemment et parfois tu te dis que c’est presque dommage. Car l’effroi possédait des propriétés sans doute plus motivantes que la drôlerie. L’effroi te faisait ruer dans les brancards , déployer maintes ruses, et au bout du compte elle te prodiguait la sensation d’être un peu plus malin que tous ces écervelés obsédés par cette emprise qu’avait sur eux cette obligation de cohérence. Jusqu’au jour où tu t’es retrouvé seul à naviguer dans l’incohérence générale. Tu as acheté des manuels de cohérence que tu as lus en long en large et en travers pour essayer d’en saisir la substance mais tu n’as jamais acquis la même célérité que celle des programmes informatiques. Et comme la médiocrité t’es insupportable tu as fini par abandonner ce projet comme tant d’autres du même acabit.