Rejoindre le lit

Peinture de Munch.

Des promenades qui durent des heures dans la ville éternelle. Tout un labyrinthe traversé. L’œil boit tout ce qu’il voit sans s’arrêter un seul instant et sans y penser surtout. Un plein comme celui que l’on fait à la station service, mais gratuit pense t’on. Juste du temps à dépenser quand d’autres dépensent leur énergie à accumuler des trophées. Aucune importance d’opposer ce qui pourrait être différent à ce qui est ta réalité dans cet instant, aucune raison valable d’y penser sauf la comparaison. Autrement dit la volonté encore enfantine de mesurer un écart avec le monde normal quand tu n’acceptes pas d’être cet étranger qui marche dans sa ville de naissance et qui toujours te paraît étrangère. Pour calmer la souffrance provoquée par le hiatus obsédant, par pur instinct tu retournes soudain vers la chambre, et une fois son seuil franchi, la porte refermée sur ce monde incompréhensible, tu te laisses aller, et choir enfin sur le lit. Et tu peux ici passer des périodes sans temporalité véritable. Le temps n’a plus d’importance que de s’achever lui-même et toi inclus, à l’heure fatidique où tu devras repartir au boulot. Tu ne prends presque plus le métro, ce cauchemar peuplé de zombis aux yeux vides. Tu prends la précaution de tailler au plus large le temps du trajet qui te conduit depuis Château-Rouge jusqu’à Montrouge à pied encore et toujours et surtout en surface. Le travail d’enquête téléphonique est une nouvelle opportunité d’apprendre à disparaître. Recherche permanente de cette voix la plus neutre et qu’elle produise un oui ou un non t’es égal désormais, tu enchaînes les appels. Tu ne vas plus à la machine à café aux moments de pause non plus. La déperdition d’énergie ici ressemble à une hémorragie. Assis sur ta chaise face à l’écran tu t’engouffres dans l’étude de l’indifférence. À supprimer aussitôt qu’elle surgit toute velléité d’empathie. Ce sont des heures à passer là comme on donne un tribut au diable. Puis tu repars par le même chemin, il fait nuit, aux façades des immeubles ton œil buvard absorbe des lampées de vie ordinaire, ce théâtre d’ombres qui se joue en boucle derrière les fenêtres éclairées qui parfois te fait envie mais souvent te repousse encore plus avant dans la nuit, te procure comme un allant de danseur, un second souffle de marathonien. Et puis l’hôtel enfin, la loge de la concierge faiblement éclairée derrière les rideaux de velours, les escaliers, la porte, le lit. Rejoindre le lit mais non pour y dormir. Pour creuser les murs d’acier et de béton avec l’outil à l’apparence si dérisoire du souffle qui t’aide à réduire le nombre des battements du cœur, dans ton apprentissage aussi horizontal qu’éreintant de chaman

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