cancre un jour cancre toujours

La place du cancre est une place que l’on ne quitte pas facilement une fois trouvée. C’est si dur de trouver sa place n’est-ce pas, tu en sais quelque chose. Le voyage du cancre commence pour toi à tâtons, du premier rang à ceux du milieu pour s’achever tout au fond près du poêle et surtout de la fenêtre. Comment ce voyage ce sera t’il effectué, par reflux, refoulement, des houles successives qui auront poussé ta frêle embarcation vers le naufrage final. Non que tu considères avoir été victime d’une telle navigation, tu n’en veux à personne, pas même à toi-même quand tu te souviens de la grâce reçue, celle de pouvoir poser enfin paisiblement ton cul au dernier rang de la classe. Une place mais bon Dieu c’est une place et voilà le grand miracle de la localisation. Puis tu t’y es habitué parce que c’est ainsi que l’on s’habitue à tout. On ne fait plus attention, la grâce s’évanouit dans la répétition, l’habitude. Les centaines de dessins et les regards glissés depuis le dernier rang du monde vers les saisons qui défilent au-delà des vitres de la fenêtre. Et tu te souviens aussi de la fugacité des liens amicaux que tu pouvais tisser avec le merle sur la branche du platane de la cour de récréation. De ces amitiés sans promesse ni nécessité de preuves qui ne demandent comme engament que d’être présent à leur venue. De ces belles amitiés qui aident à encaisser parfois l’amertume ou la colère quand, glissant un regard vers le tableau noir, tu vois encore défiler bons points et belles images, récompenses qui te seront toutes passées sous le nez sans le moindre regret. Car c’est ainsi que l’on doit porter son propre nom commun sa fonction d’utilité sociale. L’assumer comme la part laissée au pauvres ou aux chiens. En hiver lorsque les premiers flocons venaient écraser de baisers les vitres tu éprouvais un soulagement de chat qui se détend après un long agacement d’attente. La neige recouvrait tout le paysage et ce blanc tel un tableau peint à la hâte et qu’ encadrait la fenêtre était comme le frère jumeau mais facétieux du tableau noir. Tu pouvais y écrire avec un doigt des choses stupides ou merveilleuses et les effacer aussi vite d’un revers de main, mais pour recommencer dans la minute suivante en exhalant quelques bouffées d’haleine, fabriquer de la buée. Probable que c’est là que tu découvres ce plaisir ineffable de gommer plus meme que celui de dessiner. Ainsi quelle belle époque quand tu y repenses, n’était-ce pas un modèle admirable de micro société parfaite. Tout était d’une limpidité extraordinaire. Les bons élèves, les moyens et puis toi le cancre, une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. Rien n’a vraiment changé en toi et tu conserves obstinément ta place au fond de la classe. Oui, admets-le, peut-être le monde est-t’il devenu un peu plus brouillon, un peu plus compliqué, en apparence, et les platanes comme la cour ont disparu. Mais tu es désormais assis tout près d’une grande verrière et tu possèdes ton propre poêle, et aussi une chatte qui dort toute la sainte journée à deux pas sur sa chaise. Et cela bien sûr quand tu repenses à tout cela te fait rire, cette fidélité incroyable à tenir envers vents et marées ce que tu as découvert à tâtons si difficilement autrefois, ta place, ta vraie place. Tu l’as même écrit sur un vieux carnet que tu as retrouvé cancre un jour cancre toujours.

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