traduire

L’erreur est peut-être celle qui consiste à penser que pour traduire un texte d’une langue étrangère, tu dois d’abord pénétrer profondément dominer, maîtriser cette langue. C’est cette pensée qui t’obsède depuis des années. La plupart des écrivains que tu admires, avec lesquels se nouent des affinités silencieuses, sont pratiquement tous passés par la traduction pour vivre. Et toi que faisais-tu dans ta jeunesse pour gagner ta vie. Des jobs pénibles de ceux que l’on se plaît longtemps à nommer alimentaires. Non que tu n’y aies pas songé plusieurs fois en t’interrogeant sur Saint Jérôme de Stridon, Kafka, Borges, Sir Richard Burton, Vian, et tout récemment Francois Bon, mais tu les places évidemment sur un piédestal, ils sont des savants, des génies pour que toi tu te complaises dans ce personnage de pauvre type, de juif errant incapable de prendre racine en quoique ce soit. Et tu ne peux pas dire que les langues étrangères ne t’intéressent pas, à chaque fois tu fus aimanté par celles-ci. Mais le préjugé, le présupposé de départ fut souvent l’évocation d’une impossibilité chronique à en tirer profit autrement que pour essayer de communiquer avec les autres s’exprimant dans ces divers langages. Mais aussi en latin, et en allemand le problème de la déclinaison. Le même blocage qu’avec les mathématiques. Comme si la sensation d’être un idiot profond trouvait sa plénitude dans le surgissement d’un accusatif, d’un datif, d’une simple équation. Ensuite bien sûr l’effort à fournir, peser le pour et contre pour fournir cet effort d’aller étudier chaque mot comme autant de continent, de pays. Parce qu’évident que tu ne peux te contenter de l’à peu près comme excuse. Ce qui n’est pas la vérité. Tu t’es toujours contenté exactement de cet à peu près justement comme pour te tenir à bonne distance d’une précision dont tu rêves si exagérément qu’elle doit toujours être dans ta pensée inatteignable , inaccessible comme tes fantasmes envers certaines femmes ou hommes jadis, l’inaccessible étoile de Don Quichotte, et donc au bout du bout une répulsion viscérale envers la sodomie. Ce point de vue bien que loufoque quand il arrive ainsi, dans cette page d’écriture matinale ne l’est sûrement pas tant que ça. Sans doute est-ce justement là que pour toi la frontière de l’intime s’arrête nette. Et même si plusieurs fois on te pria, que tu t’exécutas, tu n’en éprouvas jamais aucun plaisir réel autre que celui d’une troublante culpabilité. La réserve dans laquelle tu te tiens toujours face au risque d’enfreindre une part sacrée de l’autre ou de toi, fut toujours plus forte que ce que considères comme un comportement animal Encore que ce n’est qu’une pure supputation, un cliché car tu ne vis jamais deux animaux en train d’effectuer cet acte. Il en résulte l’observation désagréable d’une délicatesse, d’une préciosité à la fois anachronique et en tous cas douteuse. Car le mot entuber surgit presque dans la foulée quand tu évites de prononcer l’autre, enculer. Donc une forme d’hypocrisie. Car tu fus un entubeur, tu ne peux le nier même si tu te réfugies encore dans le hasard, la providence ou l’inconscience. Et l’es encore certainement malgré l’absence totale de passage à l’acte désormais. Tu t’empêches d’entuber. Et peut-être qu’en allant ainsi contre ta nature si l’on veut beaucoup de blocages s’expliquent. Que ta cruauté finalement ne soit qu’une simple erreur de traduction. Le vrai terme est sans doute « complètement con ». Et cet aveu que tu te fais à toi-même te soulage en même temps qu’il te rapproche du genre d’une façon inédite, bizarre mais juste, et là c’est indéniable, tu le sens. La plénitude soudaine de la sensation. Et qui t’expulse de toi-même. Ce qui implique que tu n’es pas humain, tu es seulement un escargot, ou un Baphomet. Tu peux encore réduire ta vie à ce simple choix. Ou devenir berger et voir si tu t’entends mieux sur la question avec les chèvres qu’avec n’importe qui d’autre sur cette terre. Ou curé car sur ce plan on frise le pléonasme.

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