
Un doute sur la façon dont tu t’exprimes à l’oral et qui n’est pas la même qu’à l’écrit. D’où vient la différence. Et surtout qui est le vrai toi puisque le doute naît. Mais s’entend t’on parler et se lit-on soi-même comme les autres nous écoutent nous lisent… parviennent-ils même à détecter cette différence. Autre chose, si tu parles c’est que tu t’adresses à quelqu’un selon ce que tu imagines de son entendement, de son intelligence, de sa capacité d’écoute. Et le mode d’expression peut varier selon que tu discutes avec un collègue de travail, un proche, un groupe d’élèves, le représentant d’une institution. Quand tu écris tu ne sais rien du lecteur. Et de plus tu ne perds pas de temps à l’imaginer. Question: ne serait-ce pas une manière de s’entraîner à une intégrité, dans ce que tu imagines qu’une intégrité puisse être, si tu t’efforçais de t’exprimer de la même façon à l’oral qu’à l’écrit et ce avec n’importe quel interlocuteur… Et si cela parfois te semble ridicule, d’où provient ce sentiment de ridicule ? Sans doute qu’il faut vraiment remonter très loin pour en retrouver l’origine. Encore une fois dans ton enfance. Tu écoutais tout à chacun si attentivement que tu t’introduisais dans leur mode d’expression pour ne pas utiliser le tien. Parce que déjà tu avais essayé de l’utiliser et soit nul ne t’écoutait, soit on s’en moquait. Et la question n’est pas de savoir si ce souvenir est vrai ou imaginaire, c’est ce qui surgit sitôt que tu t’en souviens l’important. En tous cas tu en ressortais blessé et pour ne plus subir cette douleur répétée tu te seras mis à parler comme tout à chacun, dans une langue réduite à un vocabulaire familier, une langue usuelle, fonctionnelle, mais qui ne fut jamais loquace ni sur les sentiments ni sur les idées philosophiques, les nombreux mystères auxquels tu te heurtais c’était une langue de surface d’apparence simple avec des silences entre les phrases courtes, des silences bien plus longs que ces phrases.
Il y a aussi beaucoup trop d’enjeux de pouvoir de domination dans le langage parlé. Une hypnose. C’est aussi une raison valable pour utiliser un vocable minimaliste, des phrases simples, sans mot trop compliqué, des mots passe-partout. Souvent bonjour, bonsoir, bonne journée. Une façon qui pourrait être considérée méprisante par certaines oreilles averties. De ces personnes qui s’approchent, curieuses d’en savoir plus, et qui aussitôt s’enfuient la plupart du temps en te traitant d’ours. C’est aussi qu’avec le temps, la politesse ou l’orgueil auront été remplacés par une nécessité de justesse qui surgit de manière assez brusque. Brusque parce que tu ne cherches pas à contrôler cette propension à la justesse, et que sitôt que la sensation de faux t’agace tu ne fais plus le moindre effort pour la supporter. Une autre stratégie dont tu as usée, abusée lorsque tu détectais la fausseté fut de pénétrer toi aussi dans celle-ci comme pour présenter un miroir, mais quelle énergie et temps perdu.
L’écriture ne pose pas moins de problèmes que le langage parlé, mais ce ne sont pas les mêmes. Le temps et le lieu surtout sont d’une singularité que l’on ne peut ou dont il est préférable de ne pas s’apercevoir dans l’immédiateté de la parole. Alors que l’écrit te semble t’il, ne provient que de cette attention au lieu et au moment justement. L’écriture possède ce pouvoir d’agrandir à l’infini ces deux concepts ou parfois tout l’inverse. L’écriture dilate et contracte ces deux notions.