
Tout à un prix y compris l’écriture. Et si on établit la liste des ressources, des sacrifices à faire pour se payer ce luxe, c’est au bout du compte un prix très élevé, sans doute aussi élevé que l’exigence qui pousse chaque jour à recommencer. Il semble que ces derniers mois j’ai dû vendre au clou tout ce qui me restait d’entregent, de mondanité, de diplomatie et j’en passe pour me jeter comme un désespéré dans l’acte d’écrire des choses que je jugerais moins mièvres ou désolantes à les relire. C’est un travail à la Giacometti que celui qui consiste à ôter petit à petit tous les actes, les habitudes, dans lesquels on se réconforte en se disant je suis lu je peux donc en toute logique continuer. Mais ce réconfort est trouble si on l’examine de près. Une satisfaction qui met encore le doigt sur un écart à combler. Ecart qui sans doute, si on parvient à le combler, mais en est-on jamais certain – serait celui qui transforme une écriture de complaisance en quelque chose de plus substantiel. Et dans ce cas substantiel signifierait quoi pour toi ? Tu penses aussitôt à la matière bien sûr, et surtout au vide insupportable quand elle s’absente, qu’elle n’existe pas. Matière et mère bien entendu. Donc il n’est pas idiot à ce point de ton parcours d’imaginer que l’écriture est une invocation. Qu’elle s’adresse à ta propre mère serait si décevant encore que cela vaudrait la peine de l’accepter. Cela t’ouvrirait en tous cas en grand les portes de la prison dans lequel tu t’es enfermé. Et cet intérêt de plus en plus accru pour tout ce qui tourne autour de ton fantasme de judéité trouverait peut-être enfin un sens qui t’échappe terriblement en ce moment. Tu serais même prêt à t’inscrire et à payer pour effectuer des recherches sur ce site de généalogie célèbre. Remonter à l’histoire de tes ancêtres estoniens. Mais quand tu découvres au hasard d’un article que les premières pièces d’identités fournies aux ressortissants des colonies juives ne remontent qu’à 1863, sans oublier les ravages effectués par l’administration soviétique, puis la Shoah , toute trace anéantie a jamais le sol se dérobe sous tes pieds. Impossible d’obtenir des preuves administratives- de te fier à des documents authentifiés. Tout un pan de l’histoire de ta famille impossible à vérifier. Et pourtant quand tu es devant ton écran, tu sens une foule qui ne cesse de te murmurer continue, vas-y tu y es presque, tu vas nous retrouver.