
En exergue au voyage au bout de la nuit, cette petite phrase comme un aveu. C’est de la faute à l’imagination ou tout n’est de la faute qu’à l’imagination.Flemme d’aller regarder dans ce livre que je n’ai plus ouvert depuis des années. Peur probablement de me faire happer par lui une fois encore. De subir encore une fois la même dépression qu’il causa lorsque je tombais dessus à la sortie de l’adolescence. Toujours eut cette facilité à m’imbiber comme un buvard du ton, de l’esprit, de tels auteurs. Et, forcément, si cela se produit, c’est qu’il y a, en amont, un terreau propice. Je me suis toujours demandé comment je parvenais à comprendre ce que je lisais dans un livre. J’imagine qu’on le porte tout autant en soi que son auteur et que de le lire nous fait soudain le découvrir. D’où ensuite cette ambiguïté concernant la notion de propriété du texte, assez risible lorsque j’y repense. Cela peut d’ailleurs aller chez moi jusqu’à imiter le ton, le style , de certains auteurs que j’affectionne particulièrement parce que naïvement emprunter la musique me procure l’illusion de pouvoir y poser mes propres paroles. Encore que propre parole est un terme ronflant. Disons que la musique aide à exprimer l’imagination sur des thèmes communs en espérant trouver une mélodie personnelle. Ce qui n’est pas complètement idiot car les chinois, dans le domaine de la peinture n’ont toujours pratiqué qu’ainsi, en copiant, recopiant les maîtres jusqu’à ce qu’à un moment, un écart se produise par inadvertance chez l’élève et qui sera nommé style d’un tel style d’un autre. Il y a donc , dans la copie, une réalité vers laquelle on s’efforce de se rapprocher et ce sera souvent l’impossibilité de s’en rapprocher totalement, cet écart, dans lequel il faudra puiser sa propre manière, sa propre voix, son propre ton. Est-ce que cet écart peut être nommé imagination ? Peut-être. Mais à mon avis le désir ou l’obligation de copie, pour apprendre, appartient déjà à l’imaginaire. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une histoire que l’on se raconte de génération en génération. Une histoire qui a fait ses preuves pour ainsi dire suffisamment pour qu’on la nomme réalité. Paradoxe dont je m’aperçois encore une fois de plus, j’ai toujours été un fervent défenseur de l’imagination en peinture. C’est ce que je ne cesse de seriner à mes élèves depuis des années. Surtout ne prenez pas de modèle ne copiez pas, allez plutôt puiser les informations dans votre mémoire, vos souvenirs, votre imagination. Lâchez-vous donc. La raison d’une telle stratégie est que je n’ai affaire la plupart du temps qu’ à des personnes ayant allègrement dépassé la cinquantaine, voire plus âgés, j’ai très peu de jeunes. Donc trop fastidieux pour commencer par les études académiques de pots, de bustes en plâtre, la reproduction de photographies des œuvres de grands maîtres. Je me dis que c’est tellement chiant pour avoir traversé tout cela jadis moi-même, qu’il serait incongru de l’affliger à ces personnes, que sans doute elle s’enfuiront, et que je me retrouverais alors gros jean comme devant avec seulement une poignée de clients. Mais je me demande ce matin si ce n’est pas pure supputation de ma part, une interprétation de ma propre histoire, et de surcroît mal comprise, mal digérée. Comme si un aveuglement constitué de préjugés, d’à priori, était l’obstacle. En fait de l’orgueil. De la vanité. Car ma vérité, elle aussi, n’appartient qu’au même domaine que tout le reste, elle n’est qu’une histoire que je me raconte à moi puis aux autres pour essayer de la valider. De m’en convaincre moi-même surtout. Et d’expérience, c’est si désagréable de poser le doigt dessus que cela procure l’amère sensation d’une très réelle réalité par conséquent.