
Ainsi pour que l’illusion soit complète, qu’elle se referme sur elle-même comme un cercle, il serait nécessaire de désigner deux points distincts mentalement , disons A et B, deux point choisis parmis une infinité. Tu le fais chaque jour, plusieurs fois par jour, la plupart du temps en prenant un crayon. Tu traces une ligne pour dessiner mais depuis quel point de départ, quelle origine. Tu peux dire n’importe quel point de départ fera bien l’affaire. Mais c’est botter en touche. Ce n’est pas cette origine là qui importe mais celle qui t’a conduit au travers de milliers et de milliers de possibles à cet instant présent à t’asseoir, à prendre ce crayon et à tracer cette ligne. Que matérialise pour toi véritablement une telle ligne qui s’élance d’un point à un autre, qui avec toi se déplace dans l’espace et le temps sur le lieu de la feuille. Et si tu te mettais à y songer vraiment, si tu imaginais que cette ligne contient tout ce que tu as vécu depuis ta propre origine jusqu’à présent est-ce que ça changerait quelque chose à l’action de dessiner ? probable voire certain que c’est justement à ce genre de connerie qu’il ne faut pas penser pour dessiner. Donc quand tu te déplaces tu sais peut-être d’où tu pars mais la plupart du temps tu te fiches de l’arrivée. Ou tu ne veux pas y penser pour pouvoir ainsi continuer à dessiner. Tu te déplaces sur la feuille de papier comme dans ta vie. Tu sais qu’il n’y a en fin de compte qu’une seule arrivée réelle et qu’il ne sert à rien de t’y intéresser de trop près de peur d’être tétanisé par la peur ou par l’espoir- la joie ? La confiance ? et au final de te retrouver dans une impossibilité de faire quoique ce soit. D’une certaine façon tu pourrais te ranger dans le mouvement de l’art pauvre, celui qui s’intéresse plus spécifiquement à l’origine des matériaux, à une origine tout court pour lutter contre l’obsession des buts qui ne sont que des ersatz. Sauf que toi tu veux peindre des tableaux, tu es anachronique et tu te bouches les oreilles quand on te parle de Marcel Duchamp Il faut aussi se foutre de Marcel Duchamp comme de Dieu.