
À quel moment le corps se dédouble t’il durant un voyage; à quel instant précis passe t’il du corps rêvé au corps haï, ou pire à cette indifférence que le voyageur entretiendra désormais avec son propre corps. Comme si désormais le corps n’avait plus la moindre importance, qu’une nécessité de cohérence était révolue, se fut enfuie soudain en même temps que toute soif. Et qu’est-ce que la soif, l’eau, la femme, sinon des symboles dont le désir s’empare pour créer une image de soi, une ressemblance. Le désir de soi et le désir du monde dilués dans une même soupe, une même soif. Peut-être est-ce à Quetta, au moment exact où le voyageur marcha de la nouvelle ville vers l’ancienne, dans cet étrange no man’s land qu’il traversa, que le voyageur perdit toute envie de maintenir une image trop mensongère de lui même, qu’il renia toute ressemblance éventuelle avec son Créateur. Alors qu’il marchait sous le soleil brûlant, il sentit soudain que ses épaules se débarrassaient d’un fardeau lourd et encombrant; son pas se modifia soudain, il ne fut plus si régulier qu’auparavant, mais celui d’un homme ivre cherchant en vain à créer non sans dérision. un nouveau corps, une nouvelle cohésion, un nouvel équilibre,et bien sûr échouant à chaque fois. Un désir vague de pluie s’empara de lui, chose étonnante dans ce pays où jamais il ne pleut. Le voyageur n’était plus qu’un amas de poussière ambulant qui avait rejeté l’eau que pour mieux la désirer autrement. Ce jour là, il gravit la colline menant à l’hôtel luxueux où il avait découvert que l’on pouvait commander du café lyophilisé, il but sa tasse à toutes petites gorgées en faisant une moue de dégoût. A un moment la nostalgie de la France ne se réduit plus qu’à la nostalgie du goût d’un bon café songea t’il. Puis il reposa sa tasse, paya et jura qu’on ne le reprendrait plus à payer si cher pour une boisson si médiocre.