Retrouver la première fois

Souvent cela te traverse l’esprit, cette pensée entêtante comme un parfum de fleur-du jasmin peut-être- retrouver la sensation procurée par la toute première fois que tu as vu ceci ou cela. Comme si naïvement retourner à cette source, revivre cet instant pourrait résoudre le problème d’une inattention farouche à toutes les autres fois qui suivirent. Et n’est-ce pas cette accumulation de couches de récits que l’on accumule ainsi peu à peu sur un même fait que l’on cherche aussi à détruire, comme un brouillon médiocre que l’on voudrait jeter à la corbeille. On rêve alors d’un tout autre récit plus avantageux pour soi, mais on se rend compte – et la difficulté vient du fait que ce sera plus ou moins long – que le mot avantageux deviendra dans l’effort renouvelé à produire, le mot à abattre. Donc à chaque fois que le récit tourne à ton avantage c’est que quelque chose en toi résiste, et c’est à partir de cette vigilance qu’il faudra arracher la page, la rouler en boule et d’un geste assuré, sans pitié, la jeter à la corbeille. La peur est le héros principal de toutes les premières fois, elle s’avance poussée par un désir qui ne parvient pas à trouver les mots, les gestes, le bon ton, c’est à dire le ton juste pour s’exprimer clairement. Quel désir retrouverais-tu encore intact la toute première fois que tu découvris le château, ce lieu à la fois mystérieux et merveilleux où N. te conduisit cette après-midi du mois de juillet, à quelques kilomètres de la ferme de tes grands parents. Et surtout quelle peur te noua le gosier soudain quand franchissant son enceinte vous vous retrouvâtes dans le grand parc au bout duquel l’immense bâtisse se dressait. La crainte d’avoir franchit des limites interdites ne suffit pas à expliquer cette peur. C’est bien plus cette intimité soudaine dont tu t’es rendu compte quand tout à coup, une fois les hauts murs escaladés, le parfum du corps de cette fille a envahit tout l’espace dans lequel tu te tenais comme un poulain qui vient de naitre. Ce parfum était un mélange de linge propre et d’autre chose sur quoi tu ne parvenais pas à poser de mots. Et aussi il y avait ce livre que tu avais lu à peine quelques jours auparavant, une histoire de château, de fêtes fabuleuses se déroulant la nuit dans un lieu semblable, le même soudain , une histoire dans laquelle le fantastique se mêlait à l’aventure, à l’inquiétude, ce merveilleux livre d’Alain Fournier, Le Grand Meaulnes. Tu te souviens de cette ambiguïté à la lecture de ne pas parvenir à savoir comment t’identifier, étais-tu le narrateur ou bien ce personnage extraordinaire qui y était décrit, à la fois l’un et l’autre. Et aujourd’hui que tu repenses à cette toute première fois où tu franchis des limites interdîtes, en prenant comme prétexte toi aussi un château et son parc, n’était-ce pas justement la même ambiguïté qui te scindait en deux personnes très distinctes tout à coup. C’est à dire le garçon qui prenait soudain N. par la taille et lui collait un baiser sur les lèvres, et l’autre qui minutieusement vous observait, celui qui , comme frappé par une malédiction, resta en retrait. Qui au final ruina presque complètement par cette froideur, cette absence presque totale d’empathie, cette toute première fois.

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