
Sur la place centrale de Sonora, il y a une statue de glace qu’une vingtaine d’habitants veille jour et nuit afin qu’elle ne fonde pas. Ils font une chaîne entre un vieux magasin qui vend des glaces italiennes et la statue, un ballet incessant qui mobilise l’attention, la stupéfie. C’est la statue de la divinité locale, un Dieu triste explique la petite pancarte plantée devant et que les yeux des voyageurs peuvent lire s’ils parviennent à se libérer de l’attraction du spectacle. D’ailleurs une astuce que me confièrent ceux qui m’avaient accueilli en lisière de la ville était de ne pas me tromper d’ordre, de lire en premier la pancarte avant de poser mon regard sur le dieu dégoulinant que la ville tentait de maintenir en forme. Étant par nature sans foi ni loi je mobilisais surtout mon attention sur l’extrême ténacité des citadins à recomposer telle ou telle partie fondue de la statue. Parfois c’était le nez, parfois c’était un bras ou un pied, la plupart du temps la dégradation s’attaquait surtout aux extrémités du gigantesque morceau que représentait ce dieu triste. On séchait ses larmes avec application en l’épongeant puis en regonflant ses joues, ses pommettes lorsqu’elles menaçaient de parvenir à une trop grande maigreur. Chose encore bien étonnante que celle de vouloir conserver ce symbole de la tristesse, de la désespérance en pleine forme, en bonne santé. Assez vite je compris que des l’aube les vingt personnes qui se relaieraient au chevet du dieu prostré étaient choisis par tirage au sort parmis tous les habitants de la ville. Ce tirage au sort ne tenait compte ni de la catégorie sociale des participants, ni même de leur sexe ou de leur âge. Ce qui créait par conséquent des groupes hétérogènes les uns les autres fort distrayant à observer durant les premiers jours de mon séjour à Sonora.