
Cet autre, ces autres, c’est sans doute plus facile de dire ces autres que l’on ne connaît pas, vers qui l’on marche, vers qui on se dit que l’on marche, vers qui le prétexte d’un voyage. Mais était-ce bien un prétexte, en toute honnêteté tu n’y avais guère songé. Le voyage, l’idée de celui-ci était abstraite, des formes des masses des couleurs floues avant tout, un élan vers une autre possibilité de chaos que celle que tu connaissais déjà, à laquelle tu étais habitué, et dont tu étais déjà fatigué sans doute. Le voyage romprait l’ennui pour faire soudre de sa coquille brisée un espoir de renouveau. La jeunesse se fabrique de telles illusions et la vie ensuite l’entraîne à les pousser à leurs extrêmes, peut-être en raison d’un but tout à fait obscur au début mais qui devient clair avec le temps et les kilomètres effectués. En définitive la vérification d’une intuition fugace, de l’ordre de celles qu’on repousse le plus longtemps possible avant de pénétrer dans l’âge dit adulte. Et ces autres rencontrés en voyage au bout du compte qui sont-ils en auras- tu vraiment pris conscience, hormis ta propre définition posée sur ces autres, des possibilités différentes toujours de toi-même traversant l’ennui d’être la plupart du temps, c’est à dire cette relation figée avec le monde, un point de vue fixe, une même cause entraînant les mêmes conséquences. Et l’agacement surgit presque aussitôt que quelqu’un te relate ses rencontres, ses voyages car tu ne peux jamais être complètement dupe que ce ne sera toujours que de lui-même qu’il ou elle parleront, parfois bien mieux que toi tu ne seras désormais capable encore d’en parler, de t’enivrer naïvement à parler de toi de cette façon. Ce ne sont pas les voyages qui t’auront mené à ce silence, mais l’écriture qui, par son chemin souvent tortueux, t’aura conduit à cette évidence, des milliers de mots, des kilomètres de lignes ajoutées aux lignes, des pages et des pages, une masse, un corps vivant issu du tien de plus en plus mort. A un tel point mort que parfois tu imagines écrire depuis le fond de ton cercueil, depuis une tombe, comme pour passer l’éternité que continue à produire l’ennui sur tes os blancs.