Pouvoir et contre-pouvoir de l’imaginaire.

Quelques notes à partir d’une conversation avec G. hier soir à Ambérieu. Il me dit avoir écrit un recueil d’une vingtaine de nouvelles qu’il ne parvient pas à faire publier chez son éditeur de poésie; que chacun de ces textes de 1500 mots chacun ne comporte que trois phrases en moyenne; on en vient à parler de Claude Simon. Cette histoire de longueur de phrase me semble à la mode en ce moment. Moi-même y participe car je m’aperçois que j’écris de longues phrases de plus en plus souvent. La notion du point, considérée comme un obstacle presque une hantise au déversement du flot. Aucune idée de savoir si c’est une bonne ou mauvaise chose, c’est juste un fait. Ensuite d’en comprendre la raison, l’origine, sans doute certaines lectures récentes, mais dans ce cas cela ne serait pas naturel or lorsque j’écris je ne pense pas à ces auteurs du tout, je ne cherche pas à les copier, c’est peut-être quelque chose qui appartient à l’air du temps et qui nous contamine pour on ne sait quelle raison, et ce qu’on le veuille ou non. Peut-être la recherche inconsciente d’une ampleur d’une amplitude qui chercherait à contrebalancer une sensation d’insignifiance, de rapidité extrême des événements que nous subissons. On allongerait la phrase ainsi pour tenter de freiner de ralentir une présence que l’on ressent inexorable et qui nous pousse vers l’abîme. N’est-ce pas aussi une manière de révolte contre le lecteur qu’on imagine pressé de la même façon qu’on pourrait l’être en n’usant que de phrases courtes. Une révolte qui lui intimerait dans une longueur à prendre le temps de lire ou de relire chacune de ces phrases, d’en peser chaque proposition, chaque mot, chaque virgule pour parvenir, ensemble soudain à un point final moins douloureux; ou qui nous réapprendrait plus simplement à respirer, à effectuer une vraie pause. Évidemment tout cela appartient à l’imaginaire, et justement G. me parle d’un petit livre qu’il vient de finir, une histoire de vieux nègre qui reçoit une médaille au temps des colonies – il a oublié l’auteur et le titre- la vision africaine de la colonisation, un texte issu d’une imagination différente de la nôtre si dominante Je m’étais déjà fait cette réflexion à la lecture de Chamoiseau, le mélange du créole et du français, et aussi avec plusieurs écrivains sud-américains, Garcia Marquez surtout dans cent ans de solitude, Cortazar bien sur, tout Cortázar, et même Amado, plus populaire à une certaine époque; tout un imaginaire si différent finalement de notre imaginaire européen ou occidental, désormais américain si on devait prendre un triste raccourci. Cette hégémonie de l’imaginaire US d’une pauvreté désespérante quand on voit à quel point il aura envahit non seulement la télévision, le cinéma mais aussi désormais toutes les plateformes de streaming. Insupportable. Il y a peu j’en avais tellement éprouvé de dégoût que je suis allé voir du côté des sud- coréens, des séries de science-fiction pour la plupart mais je m’en fichais, un vrai bol d’air, notamment quand on observe les personnages féminins, cette impertinence quasi permanente que j’y découvre pour mon plus grand bonheur. Les films mongols aussi dont les plans fixes s’étendent comme les steppes à l’infini, le cinéma russe voire le chinois, autant d’imaginaires si différents, et de même que du rapport au temps. Récemment. deux acquisitions, toutes les œuvres de Borges dans l’édition de la Pléiade, deux tomes que je ne possédais pas encore ainsi que deux tomes constituant les œuvres complètes de Paul Valéry, dont je n’ai conservé de mes déménagements que quelques fragments épars, quelque part au fond de la bibliothèque. Ça ne veut pas dire que je vais me jeter dessus pour les lire avidement, je les ai voilà tout, je peux les feuilleter, peut-être en lire un extrait de temps en temps. Cela me fait penser qu’il doit exister aussi un imaginaire pour chacun quant à la façon de lire, comment lit-on les livres… personnellement j’avais pris l’habitude de lire de la première à la dernière page, une lecture linéaire. Et puis un jour je ne sais ni pourquoi ni comment, j’ai arrêté de lire ainsi, même les romans, surtout sans doute les romans. N’est-ce pas là déjà la tentative de contrer un imaginaire installé depuis les bancs de l’école et qui, l’imaginons nous longtemps, nous oblige à une obéissance, une servilité à lire tout livre du début à la fin, et qui au bout du compte détruit l’imagination et en tous cas le discernement. J’ai toujours été étonné du rapport que j’entretiens avec les livres, mais je mettais ça sur le compte de ma dinguerie habituelle. Que je rentre dans une librairie, une bibliothèque, je n’ai qu’à en apercevoir un, son format, sa couleur, son titre pour savoir presque aussitôt ce qu’il contient. De plus tout au long de ma vie il me semble que je suis tombé sur des livres qui arrivaient vers moi au bon moment à de très rares exceptions, et qui finalement ne furent là que pour confirmer ou renforcer la règle. Disons pour tenter de ne plus me faire douter de ce pouvoir bizarre. Mais bien sûr c’est encore et toujours une imagination au travail, pour contrer le fait entendu que le hasard ne veut strictement rien dire. On peut se complaire dans cette ignorance dans laquelle la raison, l’école souvent nous auront enfermé à triple tour. Il doit en être de même pour la construction de mon site sous Spip, mais je n’ai pas suffisamment encore de révolte, d’indignation face à l’imaginaire que charrie la construction de sites internet et qui doit répondre à tout un tas de critères SEO pour être aimables à Google. Donc, là encore, deux imaginaires en présence, le classique, faire tout bien dans les règles comme il faut, ou l’autre celui de l’outlaw. Mais pour contrer quoique ce soit il ne suffit pas d’être contre, il faut en comprendre les intentions, les rouages, la mécanique dans le détail, donc encore du travail à faire car je n’en suis qu’au debut avec Spip.

Hier matin une grande toile commencée destinée à l’expo de Sainte-Cecile des Vignes, encore un visage peint d’imagination pour contrer probablement le fait que s’appuyer sur un modèle puisse être la seule façon de peindre comme il faut ce genre de sujet.

huile sur toile 100×80 2023

Une réflexion sur “Pouvoir et contre-pouvoir de l’imaginaire.

Votre commentaire

Choisissez une méthode de connexion pour poster votre commentaire:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.