
ce matin une question me réveille et impossible de me rendormir. Qui est l’objet, qui est le sujet, autrement dit : qui tient les rennes de l’écriture, du verbe, de la parole ou de la langue. Ensuite pourquoi est-ce que je pose ce type de relation , maître esclave, pourquoi une telle hésitation m’entraîne t’elle à ne pas parvenir à décider de qui fait quoi. Sans doute parce que si je me sers du langage pour exprimer quelque chose, je reste toujours conscient, même si je m’emporte parfois, que ce langage ne m’appartient pas. Le langue appartient non seulement à tout le monde dans l’instant où elle se parle, mais aussi à toutes les générations passées ou futures. D’un autre point de vue que suis-je sans langage. Et l’effroi qu’aura produit cette question au sein du rêve est exactement associé à la disparition conjointe, perdre la parole, et se perdre en même temps, ne plus être en capacité de pouvoir s’exprimer, se retrouver avec cette béance au centre de soi, être la béance toute entière, et donc ne plus être le même mais un autre totalement inconnu. C’est bien plus que de faire silence, c’est être déserté par tout langage possible, un hiver authentique. Cependant et c’est paradoxale, lorsque je n’écris pas je suis exactement ce désert. J’entends la parole, celle des autres, la mienne au même titre, tout cela me traverse sans que je ne puisse rien arrêter, m’interposer, mais elle ne semble plus avoir de poids, de solidité, de réalité, c’est une parole qui jamais ne cesse et c’est parce qu’elle ne cesse pas qu’elle m’écarte d’elle, que je me retrouve avec la désagréable sensation d’en être banni. Ou de la bannir car on peut aussi adopter ce point de vue, bien sûr. Écrire est donc une façon d’essayer de reconstruire quelque chose qui ne cesse de m’échapper, mais dont je ne connais rien de la nature exacte. Le premier niveau se situe évidemment avec le fameux Qui suis-je. Puis une fois parvenu à l’impasse où nous entraîne régulièrement cette question, le doute surgit, on s’aperçoit que l’interrogation est mal adressée, qu’elle dissimule tout autre chose. Un monde en soi qui, pour parvenir à l’existence se sert à la fois du verbe et d’un pauvre bougre, d’un scribe comme intermédiaire pour se dire. De là à imaginer avoir été élu pour exprimer le monde le risque coule de source. Du moi qui s’invente toutes ces choses pour se conférer encore un semblant d’importance alors qu’il a déjà perdu toute idée normale d’importance. à moins qu’il ne se soit jamais vraiment illusionné d’en posséder une quelconque, ou encore que ce mot quelconque ne lui convienne pas; qu’il n’aura jamais eu de cesse de refuser d’être quelconque, et donc par la logique de la peur comme du désir le sera devenu. Et souvent, écrire, parler furent dans ma vie associés à une malédiction. Comme si vouloir m’exprimer était le péché, l’erreur ultime, celle à ne jamais commettre, et dans laquelle pourtant je n’ai jamais cessé de m’enfoncer par strates successives comme Virgile dans les cercles de l’enfer. Mais pas de Béatrix me dis- je tout à coup, et soudain la présence d’une telle absence m’interloqua car il me sembla tomber sur une impossibilité mathématique, pour autant que j’y connaisse quoique ce soit dans ce domaine, cela me sembla parfait, juste comme le poids d’une plume pour peser un coeur.