
très attiré par le silex et quelle chance d’en trouver un surgit des profondeurs éprouvées déjà inouïes de la terre, était-elle grasse, ou bien crayeuse la terre du jardin, comment du gras peut naître une pierre si dure, et même du crayeux – on ne sait rien, sauf le miracle de voir, mi opaque mi transparent, naître soudain -et c’est si fort encore au souvenir – ce silencieux silex sur le sol du jardin- à moins que ce ne fut celui de la cour, cette cour en u qui comme un fer à cheval chaussait la maison sabot, cette grande bâtisse impossible à concevoir sans sa cour plantée de prunus, de pommiers, et son jardin où pousse l’oseille, la laitue, la salsepareille, l’hellebore la mandragore, le mousseron mignon et suave, la fraise acide ou juteuse, sans oublier quelques mauvaises herbes comme l’ortie – dont le goût est si proche de la citronnelle par temps clair sans orage et dont on se faisait peu de fierté de fabriquer des soupes, avec quelques bonnes vieilles pommes de terre, de ces patates que l’on allait ramasser de préférence dans un champs voisin, en cachette ou presque , au chant des grillons les soirs de promenade, que l’air était si doux et l’ennui si épais, on aimait tant les voir elles aussi ces pommes de la terre enfantées des sols -étaient ils gras ou crayeux , acides ou autre , on n’y songeait pas en ce temps là, on ne savait que se baisser, voire s’agenouiller, se plier en quatre pour s’approcher des sols, épousseter de sa gangue de terre, de poussière, les petits bonhommes bistres que recrachait la terre en surface et qui très certainement était la nouvelle enveloppe , éphémère, des morts tombés ici, tombés un peu partout – car notre joli coin n’aura pas été épargné du tout et les silex, l’oseille, la patate qu’on y trouve, c’est constitué de drame de tragédie autant que de comédie, les jours horribles et les jours sans soucis c’est ainsi que tout ça vient , naturellement, et à la fin on mange les morts du jardin et leurs os sont durs , ils sont silex et si l’on tape avec un silex sur un autre silex, je viens tout juste de l’apprendre , pas plus tard qu’hier, ça produit une drôle d’odeur, une odeur de guerre, une odeur de feu et bien sûr ça donne envie d’en faire du feu là, assis le cul par terre, sur le sol de la cour, sur le sol du jardin, sur le sol de la terre qui est vaste, tellement vaste pour de si petites fesses que parfois on pourrait se sentir comme un intrus, en tous cas guère plus important qu’une patate ou qu’un brin d’oseille, un brin d’ortie, un silex, pas plus important, mais pas moins non plus, et si par l’imagination on prend un silex en main et que l’on remonte les routes du temps pour parvenir bien avant encore le préhistorique, on comprend que celui-ci naît sous la mer, sous l’eau et peu importe que ce soit une eau douce ou salée, l’important c’est la boue que toute cette eau laisse en se retirant, en laissant derrière elle des pleins et des vides car c’est dans un trou que se forme le silex par un procédé magique, la dialyse, on le prend dans la main le silex, on en respire l’odeur et on voyage ainsi durant un temps qu’on ne saurait dire, est-ce une minute, une heure, des millions d’années , impossible à dire, et même parfois si l’on passe le doigt sur l’une de ses arêtes tranchantes on peut se blesser plus ou moins volontairement, on peut passer un pacte, devenir frère de sang avec la pierre sédimentaire, une amitié en nait, de feu et de dureté minérale qui n’a rien à voir avec les amitiés humaines.