
j’ai récupéré toutes les palettes laissées par les élèves, puis j’en ai fabriqué une nouvelle; poussé avant tout par le désordre que provoque le gâchis, une sorte d’obstination à vouloir en faire quelque chose, une volonté de réparer ce que l’inadvertance, l’inconscience, le je m’en foutisme laissent pour mort sur les routes comme sur la toile cirée qui recouvre ici les tables,; ce qui à première vue semble assez noble, mais ce n’est pas si simple, rien n’est aussi simple, c’est lié à toute une histoire du gâchis bien sûr, une histoire personnelle. Comme si dans cette idée de vouloir réparer un mécanisme aussi bête, aussi banal, presque stupide totalement, symboliquement je me disais tu vas tout réparer ainsi en un seul coup de dés. Ça doit encore venir d’un de ces trucs chinois dont j’étais friand plus jeune, des résidus mal digérés de bouddhisme. Comme si un seul geste parfaitement effectué pouvait réparer tous ceux effectués avec bêtise ou maladresse dans le temps. C’est évidemment ce que l’on adorerait croire. L’ego jouit de cette trouvaille. Mais quelque chose au fond de nous remue et s’en indigne doucement. Car même si le temps est un mensonge, une illusion, que tous les actes produits le sont aussi par conséquent il reste de toutes ces apparentes foutaises un livre invisible quelque part où tout reste inscrit scrupuleusement et que l’on passera toute l’éternité à se relire soi-même. Ensuite j’ai pris une vieille toile dont la vision frise l’insupportable, qui me rappelle cette inconséquence globale qui résume ma vie, j’ai pris un petit pinceau, fabriqué des couleurs nouvelles, des verts de toutes sortes et j’ai posé de petites touches, toutes presque semblables, avec des tons différents jusqu’à tout recouvrir de l’ancienne peinture. Ensuite j’ai senti que j’étais content d’avoir essayé quelque chose, et j’ai finalement compris que tout cela, cet ensemble de petites choses n’avaient été effectuées que dans cet unique but: Être satisfait de m’être agrippé in extremis à quelque chose pour ne pas avoir l’effroyable sensation d’avoir complètement foiré cette journée. C’est encore une manière de résister vainement à l’inexorable. Vainement, je cherche ce qui ne le serait pas, son antonyme, mais le mot m’échappe, ou plutôt quelque chose m’empêche d’aller plus loin pour le trouver, sans doute parce que cela ne servirait à rien, que la seule façon de résister est ainsi depuis toujours je résiste vainement à l’ inexorable comme un Auguste au milieu de son cercle de sciure sous le chapiteau d’un cirque.
Finalement, il est difficile de juger qu’une journée a été foirée ou non… Ou bien on a une haute idée de ce qu’est une journée réussie. En tout cas, une idée des critères d’une journée réussie.
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