
cassette numéro 13 Alfonso Quichano 1995 Paris
« …On n’est pas obligé de conserver en toute circonstance le même point de vue. C’est sans doute la pire connerie que la société nous demande d’adopter. Tout cela pour que l’on colle à une carte d’identité, un bout de carton avec l’empreinte de nos paluches et un photomaton de zombi dépressif. Pour que l’on devienne ensuite la cible attendue comme au coin d’un bois de tous les fabricants d’opinion et autres sondages et canules. C’est pas facile à comprendre quand on est enfoui, et sous des kilomètres de merde à tenter de remuer comme une saleté d’asticot dans un morceau de bidoche, ce fameux point de vue, pour survivre. De plus la probabilité pour que le morceau de bidoche appartienne à votre propre cadavre et pratiquement de 100%. mais ça bien sur personne ne nous le dit, motus comme pour tout un tas de choses ici-bas. Gilda était tombée dans le panneau très jeune, elle croyait dur comme fer être une fille gentille , bien sous tout rapport, sauf celui qui m’intéressait, l’altercation sous toutes ses formes, mais en fait , comme c’est assez régulièrement le cas, c’était en fait une fieffée salope. Que dire ? sinon qu’elle était totalement détachée de son inconscient. Mais peut-être que de l’ excuser ainsi ne serait pas vraiment lui faire honneur. Non à la vérité Gilda était collé à son point de vue sur elle-même comme tout le monde Elle était tellement seule qu’elle n’entretenait avec le monde que des choses sans danger, cordiales comme on marque en bas des lettres de demission, quand ce qui importe le plus au bout du compte c’est que l’on n’omette rien dans le putain de solde de tout compte. Elle bouffait cordiale, marchait cordiale, travaillait cordiale, baisait cordiale. Et rien ne pouvait lui faire changer de point de vue. Si elle s’était méfiée de moi comme de tous les autres, bien sûr cela n’aurait pas changé le fait qu’elle soit écrabouillée par un bus, mais toujours cordiale elle avait dû décider de baisser sa garde. le destin étant ce qu’il est ne l’a pas loupée ; en attendant on aurait pu passer un peu plus de bon temps tous les deux, voilà exactement ce que je pense encore aujourd’hui de Gilda. Au lieu de ça j’ai modifié mon point de vue sur pas mal de femmes en expérimentant des aventures à la chaîne durant la période où nous vivions si cordialement Gilda et moi. Elle était si détachée de son inconscient qu’aucune prémonition, aucun indice, par le plus petit doute ou soupçon quant à ma fidélité ne lui venait jamais. Comme si on possédait une maison et que l’on ne fiche jamais les pieds à la cave ni au grenier C’est pourquoi à la fin je lui ai tout déballé d’un coup, juste pour lui montrer comment on peut se tromper de point de vue sur quelqu’un. C’est à ce moment là qu’elle m’a enfin montré son vrai visage, mais il était bien sûr trop tard, son vrai visage je le connaissais déjà depuis belle lurette je n’en avais strictement plus rien à foutre.«
Tu en penses quoi demanda Frances. Fred hausse les épaules il dit je ne sais pas, tu bosses sur un nouveau polar ? Est-ce que ça fonctionne encore le procédé épistolaire, perso je trouve que ça n’a rien à foutre dans un polar, trop de bla-bla mais bon je suis de la vieille école, les polar des années 30, l’époque de la crise, là où vraiment ça faisait vraiment quelque chose d’en écrire et d’en lire tant l’ambiance était plombée. Il rit en allumant une cigarette avec ses mains tachées de couleurs. Remarque en ce moment j’essaie de peindre un peu dans le même genre qu’un écrivain de polar, je retire le superflu ou l’essentiel parfois j’avoue que je ne sais plus trop. Whisky ? il lui montre la bouteille de JB
–Plutôt un thé si ca ne t’embête pas mais reste la je vais me débrouiller. Frances se lève pour se rendre à la cuisine. De loin elle interpelle Fred, tu ne vois plus Hannah ?
— à quoi tu le vois il répond de loin
— au bordel ici. Mais ce n’est pas une critique juste l’énoncé d’un fait. Et puis peut-être que le talent des peintres est étroitement lié à leur capacité à vivre dans la merde – ajoute t’elle trouvant l’idée marrante. Fred se marre aussi et elle l’entend se resservir un autre verre.
— En fait j’ai récupéré tout un carton de vieilles cassettes d’ un certain Alonso Quichano, c’est une vieille dame qui me les a données je crois que c’est une tante qui aura récupéré ses divagations après son décès. La police a fait des doubles visiblement rien que pour elle. La vieille voudrait que je fasse un livre avec tout ça Tu sais qu’il a tué une vingtaine de femmes, entre les années 90 et 2000. Pour l’instant je me cantonne à retranscrire les audios sur le Mac.
–Tu te fiches de moi je crois non ? balance soudain fred. Alonso Quichano c’est le blase de Don Quichotte de la Mancha.
— Oui bien sûr que je le sais c’est d’ autant plus amusant ! Et surtout si mon bouquin lui plaît la vieille m ‘a promis une sacrée récompense, 30000 euros ! Jamais un éditeur aujourd’hui ne me refilerait ça pour un polar.
— Fred siffle 30000 balles je pourrais tuer pour une telle somme en ce moment, puis le silence s’installe. Frances dit , tu le regretterais avec un petit rire. Fred se retient, puis il rigole aussi : essaie de négocier jusqu’à 40000 et tu verras