
extrait d’une note du carnet n° 2 d’Alonso Quichano, Barcelone 1990 page 50.
« Le terme « mosaïque » vient du latin tardif musaicum (opus), mot lui-même dérivé du grec ancien μουσειον (mouseion), désignant ce qui se rapporte aux Muses. Dans la Grèce antique, cette technique, à l’origine, était employée dans les grottes consacrées aux muses.
De quoi est formée la réalité sinon de tesselles que nous collons les unes aux autres afin de nous dissimuler le vide, l’ignorance de ce qu’est cette réalité. Ensuite nous nommons le résultat la réalité mais ce n’est rien d’autre qu’une mosaïque.
…Quelle réalité avait vraiment pour moi Vincente Guez lorsque je la rencontre la toute première fois à Cagliari sur l’île de Sardaigne, dans ce petit musée des cires anatomiques. Qu’ai-perçu d’elle en tout premier lieu. Était-ce sa longue chevelure bouclée dont la couleur des mèches passaient d’un terre d’ombre chaud à quelques éclats lumineux roux ou auburn. Était-ce son regard surplombé par d’épais sourcils sombres, ou encore ces deux petites rides d’expression indiquant une indéniable capacité de concentration alors qu’elle tente de décrypter la légende évoquant l’histoire de cette cervelle en résine de la vitrine n° 10. Était-ce sa silhouette toute entière, harmonieuse, et qui répond soudain à un ensemble de critères personnels pour que j’use d’un tel qualificatif. Et encore , tout bien pesé , sont-ce vraiment des critères si personnels ou bien me suis-je contenté paresseusement de les emprunter à des pages glacées de magazines, des affiches publicitaires, des rumeurs en matière d’harmonie et de beauté. Ce qui est sûr c’est que à partir de cet instant où je la vis il me fallait l’aborder, la séduire, la posséder, puis la tuer. L’assassinat de Vincente Guez fut comme le désir obsédant de réaliser une œuvre et j’allais y employer tout mon savoir faire. Par chance elle était ignorante. Elle ne savait rien de la merveilleuse histoire des cires anatomiques. Je fis donc mine de m’intéresser moi aussi à l’affichette puis m’exclamais à haute voix … mais oui la fameuse madame Tussaud, on ne dira jamais assez la place qu’auront occupé les femmes dans cette recherche anatomique prodigieuse… tout en glissant un regard vers la silhouette de la jeune femme. Immédiatement elle me sourit.
-Vous avez l’air de connaître ce musée dit-elle, c’est la première fois que je viens ici et je trouve tout cela à la fois morbide et reposant.
-morbide et reposant quel association délicieuse répondis-je en riant. Puis je lui offrais de l’accompagner dans la visite pour l’instruire au fur et à mesure que nous progresserions dans ce magnifique étalage de bidoche séchée, constituée de papier mâché , de muscles en cartons, de nerfs de tendons dont la suggestion du vrai tient à cet assemblage exceptionnel de fibres , de colle de peau , de cordelettes et de ficelles.