
dans le mot inventaire il y a un peu d’invention. on inventerait un inventaire au fur et à mesure de quoi ou qu’est-ce. C’est à dire qu’il faudra bien un commencement, un début, car il y a un début à tout même à l’invention de l’inventaire, si on décide de ne pas le taire, que l’on joue franc-jeu.
invention du premier objet, non, l’objet existe. Mais de le placer en tête, pour quelle raison ça le placerait avant les autres, le sait-on. Dans le monde de l’enfance il n’y a ni queue ni tête, tous les objets sont égaux en genre en nombre, en qualité comme en quantité. Sauf bien sûr la peluche nommée doudou ce petit d’ours à l’œil décousu. L’ourson énuclée, du reste un jour d’inventaire qui ne se passa pas très bien, qui ne se déroula pas comme il faut, c’est à dire en ayant les yeux en face des trous. Mais s’il faut dire tout ce qui se tient ici sur cette grande table tout le monde pensera – et à raison (car le plus grand nombre fait toujours foi) – qu’un ourson borgne et qui plus est informe, poussiéreux, lamentable, n’a rien à y faire séant. Dans ce cas il est absurde de l’ extraire de ce néant dans lequel tu l’auras fourré, sauf quand on te demande d’inventer un inventaire, si proche d’un avant-taire. La phonétique serait-elle réservée qu’aux chiens.
Avant-taire il faut beaucoup parler car c’est de l’excès que se nourrit le taire. Pour que taire ne soit pas un acte insensé, pour que terre y trouve son compte. C’est terre à terre mais c’est ainsi que dans nos campagnes se taire possède une valeur , contrairement à parler qui n’est que bavardage, inutile perte de temps, foutaises. Que l’inventaire puisse s’effectuer calmement si possible qu’une telle chose se puisse ainsi dire. Car le classement ment effrontément sans vergogne. On place une chose en tête et déjà on l’a dans le c.
On est phagocyté par un ordre qui nous arrive de l’air et qui pénètre par le nez, les oreilles, tout ça sans crier gare. l’ordre est un train à très grande vitesse qui ne s’arrête plus dans les petites gares. La vigilance en amont serait souhaitable sinon requise, aussi bien qu’en aval pour toute velléité d’inventorier les objets se prélassant sur une table comme à la surface convexe du globe oculaire ( qu’on appelle monde, réalité ou encore la mer et ses poissons.) On aura avalé tant de couleuvres qu’on se reprend à plus d’une fois au préalable comme dans tout préambule.
Par quoi commencer et quand est-ce que ça va se finir. Être pris dans cette question comme dans la mâchoire d’un étau, exige des ressources de crabe pour se carapater en oblique à tout bout de chant ou de champs. De là à célébrer ce genre de contrainte il n’y a pas des kilomètres si on possède des goûts masochistes ou si on les a transformés ainsi ces goûts faute de mieux. Car on peut en être aussi dégouté pour toujours et choisir le plaisir.
Le plaisir d’effectuer un inventaire en toute inconscience, comme j’adorerais pouvoir.
Comme ces teutons obéissants et nazis, comptant les dents en or, les montres, les cheveux les œils-de-chat, les yeux de verre en les triant, n les inscrivant dans d’innombrables colonnes, créant ainsi des montagnes d’arbres morts au beau milieu des camps d’extermination.
Il y a un chat sur la table, qui est une chatte en l’occurrence comme un chat dans la gorge. Mais je tiens bon j’ai mes Nicopriv, Nicopasse des bonbons bien carrés à sucer sans croquer. Je ne devrais pas non plus compter les jours. Je devais me foutre aussi de l’inventaire des jours qui passent sans cigarette à fumer. C’est aussi ce que l’on observe dans tout inventaire qu’ils sont faits toujours plus ou moins pour une guerre à venir, on inventorie les ressources possibles pour exterminer quelqu’un, pour démembrer par le dénombrement, dénombrer et démembrer vous voyez. Pour que plus personne ne soit chiffré mais fiché, transparent comme de l’eau de roche. Chinois. Ce qui est l’extension logique de tout l’héritage laissé par des inventaires scrupuleux, l’œil pour l’œil, la dent pour la dent et cætera.
Dresser un inventaire comme on dresse un cheval ou un chien.
La chose est sauvage puisque je suis sensé être civilisé. elle est sensée être insupportable dans cet état, être une sorte de défi ou d’affront au mien. Il faut absolument dresser cette chose pour lui apprendre qui est le maître. Par où prendre cette chose ? par les oreilles, la queue, une quelconque de ses extrémités ? ce qui est une faute de logique quand on utilise le terme prendre dans un tel sens, car prendre ici pourrait certainement plus se rapprocher d’enfiler, de pénétrer, que de vouloir saisir avec douceur intelligence ou diplomatie, la nature dune telle chose.
L’espace et ce qui l’occupe peut-être cette chose. Cette grande table au beau milieu de l’atelier. Tout ce qui se trouve dessus possède une relation intime avec tout ce qui est dans sa périphérie et ce lien dépasse de beaucoup les murs de cet atelier tout comme la durée de ma propre existence certainement. La métaphysique joue un rôle sitôt que la notion d’inventaire menace. La chose est d’ordre métaphysique. La sauvagerie est quelque chose de métaphysique. On aimerait beaucoup en venir à bout et de nombreux moyens furent expérimentés, principalement l’assassinat, les regroupements par catégories sociologiques culturelles, la lutte des classes, différentes dictatures bananières , cotonneuses, orifères ou ferrugineuses, industrielles en tous cas autant qu’industrieuses, sans oublier les guerres mondiales, et y sommes nous parvenus, au bout de cette sauvagerie métaphysique ? non. Sauf un doute sur notre postulat de départ qui prenait en compte une idée de civilité qui n’est que pure rêverie, fantasme enfantin.
On ne dresse pas un inventaire comme on dresse la table je crois désormais que c’est une leçon apprise. Une leçon apprise à grand renfort de coups de règle en fer sur la pulpe des doigts. La tendreté des chairs s’en ressent, un genre de corne pousse proche de celle des doigts de guitariste. On peut imaginer le pire quand on est rétif à tout inventaire et en même temps guitariste, ou le meilleur car ces deux là dépendent toujours du point de vue.
Le point de vue est une approche. Une façon de se donner plus d’une chance. Il suffit d’un pas de côté pour percevoir la table différemment. Et c’est justement grâce à différents points de vue que le doute surgit quant à ce que l’on pourrait nommer en premier comme en dernier. quant à un ordre stable que le changement de point de vue démonte tranquillement sans grincement de dents ni gesticulations intempestives. Le changement de point de vue mène à une évidence du doute, comme à un soulagement.
Alexandre m’a appris à me tourner dans l’autre sens, je n’ai plus vraiment peur de ce genre d’ombres. Mais du Soleil bien plus. Comme de toute la limpidité incessante des évidences.
Dresser l’inventaire c’est s’essayer à dresser la peur. La peur provoquée par toute idée de séparation. Sur cette grande table les objets sont liés ils ne sont pas séparés par une fonction, une utilité, une importance, un genre, un nom des adjectifs qualificatifs. Les objets sur cette grande table sont tous mystérieux comme au tout premier jour, ils sont restés intacts, entièrement recouverts par l’habitude, par cette banalité que crée leur présence dans les champs de vision et ce quelle que soit le point de vue. Ils sont aussi banals je le suis. Parce que la banalité est ce refuge que nous nous sommes crée par la force des choses, l’excès de parole et la soif de silence. On ne peut plus dresser l’inventaire de tels objets que l’on ne voit plus sauf à travers cette banalité.
On peut, à la rigueur, dire ici sur la table il y a un pot, un tube de couleur, un pinceau, un chiffon, comme on peut aussi dire ici se tient un homme qui peint.
Et à t’on vraiment la sensation claire et juste comme un accord qui sonne juste une fois que l’on a écrit ça ainsi, qu’on aura dressé cet inventaire réduit à un strict minimum.
On obtiendra une légère douleur mais au bout du compte assez agréable au final de s’être contenu dans si peu de choses à dire. On se posera peut-être la question de savoir comment on y est arrivé. On s’interrogera sur la chance ou la nécessité d’y parvenir ainsi. Dans le fond on verra qu’un inventaire est assez proche d’un voyage, qu’il peut être aussi double qu’un voyage.
Se tuer à faire le moindre inventaire
C’est comme ces poissons, le spasme que l’on ressent au creux de la paume quand on les tient pour qu’ils ne nous file pas entre les doigts. Le sursaut du poisson qui est en train de crever dans la paume de la main, on l’a extirpé de son milieu aqueux, il est maintenant dans un autre univers. Il en crève, il le sent, normal qu’il se débatte. On a pêché un poisson dans les eaux du Cher, en aval des abattoirs, c’est un gros gardon dont on gardera le souvenir dans la paume d’une main. On conservera aussi la sensation vague d’avoir dérangé le monde en pêchant un poisson. Ça va aussi loin que ça bien sûr. On a désordonné quelque chose, on s’est désordonné par ricochet, la culpabilité du pêcheur n’est pas une chose à prendre à la légère. C’est par elle que l’inconscience s’éclaire peu à peu, c’est toujours un peu douloureux, un reliquat de tu enfanteras dans la douleur ou tu gagneras ton poisson au nombre des écailles pour toujours collées sur tes paumes.
Alors qu’à un moment les choses furent si simples. Pêcher un poisson, le ramener à la maison. le vider, lui trancher la tête en extraire tous les boyaux, puis le jeter dans la poêle à frire et le déguster pour se nourrir. pêcher un poisson pour vivre. Ce que le monde de Walt Disney aura provoqué sur l’équilibre mental des enfants, un jour sera probablement jugé comme crime contre l’humanité.
L’invention de cet individu effroyable qui éprouve une culpabilité à rebours pour se défausser du plaisir éprouvé à pêcher. Parce que le plaisir mène à la dissolution, que nulle usine ne tournerait si tout à chacun s’adonnait à ce genre de plaisir, parce que les bureaux et la torture incessante du travail qu’on y effectue serait tout à coup devenue inepte, insupportable, à gerber ni plus ni moins.
Le monde merveilleux de Walt Disney, les romans courtois, toutes les couches de mensonge ajoutées les unes sur les autres comme les ingrédients d’un hamburger américain qu’on ne saurait bouffer sans s’en foutre partout sur les vêtements, à moins de posséder une grande gueule, et un sourire immense dont les extrémités rejoignent les oreilles, toute cette ineptie extraordinaire quand on y pense vraiment, pourrait aussi faire obstacle et pas qu’un peu à toute velléité d’inventaire.
Le sourire n’est pas indispensable à dit un vieux sage dont j’ai oublié le nom.
le même spasme que celui de ce vieux poisson. Identique parfaitement quand il s’agit de se mettre à l’inventaire des divers objets éparpillés sur la grande table de l’atelier. L’aspect étouffant que ça produit aussitôt comme si on m’avait extirpé d’une nage paisible entre deux eaux, comme si on m’avait expulsé de l’immanence, qu’un hameçon me perce la joue, traverse l’os de la mâchoire. Les hindous diraient karma, mon démon intérieur sourit tranquillement quand il comprend qu’il ne s’agit que d’un banal retour de bâton. Quelqu’un pourrait aussi déclarer sans trop de risque que j’ai encore du temps à perdre pour penser à ce genre de conneries.
Quelqu’un qui me dirait mais crève donc à toi-même une bonne fois pour toutes. Tu nous emmerdes avec toutes tes tergiversations, tes élucubrations.
Essaie au moins de crever sans faire chier personne ce serait vraiment un jour à marquer d’une pierre blanche.
Et là l’information poursuivrait son chemin comme il se doit au travers du réseau des nerfs jusqu’à atteindre le traitement final des données et on parviendrait enfin à se faire une raison.
Il y a une grande table dans l’atelier et sur cette table par ordre d’apparition il y a une plaquette de bonbons à sucer pour s’abstenir de fumer. Une tasse (vide) de couleur crème dont le rebord est peint en rouge, plusieurs tubes de couleurs à l’huile dont certains ne possèdent pas de bouchon. Un pot en verre qui devait autrefois contenir de la moutarde et qui contient désormais un mélange de therebentine et d’huile de lin. Un couteau à peindre, un chiffon roulé en boule, une petite carte de visite provenant d’un gîte et qui si on la présente à telle cave, on sera assuré d’obtenir en sus du vin acheté un cadeau. Des pinceaux dont on aperçoit les manches car la pointe baignent dans différents liquides. Des boites de conserve qui autrefois contenaient des haricots verts, des petits pois, du cassoulet, et qui servent désormais de récipient pour nettoyer les dits pinceaux. Un grand saladier en terre fabriqué par un ami potier qui contient une trentaine de petits tubes de peinture à l’huile. Une bouteille en plastique qui contient encore suffisamment de whyte spirit pour pouvoir travailler quelques jours. Des pots en plastique contenant de la peinture acrylique, une petite boîte en fer blanc qui contenait autrefois du pâté de foie et qui aujourd’hui sert de récipient à médium, une palette sale. un agenda, un carnet à dessin type moleskine mais qui fut acquis à prix dérisoire dans un supermarché Action. Un chevalet de table dont il faut réparer régulièrement une vis pour assurer sa stabilité. Quelques morceaux d’essuie tout tachés de peinture. Quelques miettes de tabac datant de la semaine passée, une autre vie déjà car je croyais ne pouvoir vivre sans fumer, ce qui s’avère erroné après une semaine d’abstinence. A moins que la frontière entre vie et mort soit devenue floue, qu’on n’en sache plus rien, et qui plus est on y soit devenu indifférent.