
Peut-on s’en passer, et à quel prix. La famille, l’école, l’entreprise, l’église, l’armée, le cimetière. Du début à la fin se sentir entouré ou au contraire se sentir rejeté par cette entité totalement imaginaire. A chaque fois que j’éprouve un attrait pour le groupe quel qu’il soit ça finit mal . J’y vais pour expérimenter à la fois cet espoir et cette déception à nouveau. Comme pour forger quelque chose à force de recommencement. La joie provoquée par l’idée d’être accepté dans un groupe est sans doute la première responsable. Cette joie cet enthousiasme au sens religieux du terme. Comme si le moindre groupe était une parcelle divine en train de se recréer sous mes yeux ébahis. Puis je déchante. A la chorale déjà je déchantais à ma façon de chanter faux et fort lorsque j’étais prisonnier à Osny près de Pontoise. Était-ce pour me faire plus remarquer que nécessaire ? Ou plutôt pour marquer mon indignation d’être considéré comme un mouton ? Un béni oui oui ? La voie du mauvais larron, du voyou fut à un moment donné la seule voie possible à suivre pour ne pas me retrouver phagocyter par la matrice morbide de la normalité. Chanter faux me rendait justice. Ainsi je faisais la nique à la norme. Cette peau de chagrin qui nous étouffe en se racornissant. Du chagrin j’ai pris le contrepied en m’en créant des joies. Du rire solitaire un graal. De la folie la plus haute sagesse. De la laideur le terreau des beautés à venir, de la banalité le miracle.
Ce qui s’écrit vient de moi bien sûr mais d’abord de plus loin que moi. C’est là l’origine de bien des confusions. Celle d’être un moi parmi d’autres moi. La décision de mettre fin à la conversation, à toute illusion d’acceptation comme de rejet, comme de parler une langue semblable aura pris du temps. Cinq années. Un lustre qui est aussi le mot pour parler de la brillance du pelage, de la patine du temps. Acquérir ce lustre et ensuite devenir éléphant, hippopotame, retrouver le chemin du fleuve, se rouler dans la boue et réapprendre à nager entre deux eaux.
Comprendre la nécessité du groupe ne l’excuse pas. Ce que j’ y ai découvert comme horreur ou effroi d’y prendre part, comme de merveilles entr’aperçues s’équilibre mal. La paresse ou l’abandon des uns sert de profit aux autres. Les identités qu’on y gagne semble posséder un gout de justice scolaire, tout de craie et de crissements agaçant, crispant à la surface noire des tableaux et sur laquelle on doit prouver je ne sais quoi de clair.
Qu’on est ce que l’on prétend être.
Parfois cela produit des miracles, mais plus rarement que des inepties.
Se réjouir d’être en groupe n’est qu’un artifice, une victoire mensongère face à la nuit totale. On y plonge avec allégresse avant d’en ressortir encore plus triste, plus seul encore qu’auparavant d’y être entré.
On peut s’illusionner, se créer un moi spécial pour aller en groupe. Mais c’est du temps perdu. A partir d’un certain âge c’est vraiment du temps perdu. C’est une paresse encore une peur, une lâcheté. Une manière de ne pas vouloir voir le dégout de soi.
Aller seul en revanche résolument mais vraiment met fin à la difficulté puisque tu peux ensuite traverser tous les groupes, tu as réglé le problème. Surtout tu t’en fous.