#revisite #04 | silhouettes dans une foule

Egon Schiele Autoportrait
Egon Schiele Autoportrait

( Atelier d’écriture)

Un par un tout d’abord, puis l’ensemble ensuite, le wagon ayant fait le plein de voyageurs. Ça commence le matin un peu avant sept heure sur le quai du RER de Boissy Saint léger, tout de suite en sortant de la gare. La gare, qui à force d’avoir été moderne ne l’est plus vraiment.Tout le monde n’a pas une carte orange, pas même de ticket. Un jeune homme coiffé d’une casquette à cinq pans couleurs blanc et royal couronne blanche ornée d’un motif à palmier et plage estampillée PALM BEACh prend appui sur la rampe en aluminium, effectue un admirable fox bury, s’éloigne d’une démarche nonchalante vers le quai, pénètre dans un wagon, disparaît du champs de vision. Vient ensuite cet homme assez grand, qui en impose, vêtu d’un costume probablement en laine, rayure tennis , entre Al Capone et Rothschild, il introduit son ticket en même temps que moi, synchronicité des bip, concert de plaques de plastique ou de métal léger, tourniquets, portes. On sent aussitôt le morceau de carton composté que l’on s’engouffre dans un espace différent du précédent. un ticket validé confère une légitimité On est de droit, on se tient droit, on porte la tête haute, on marche calmement vers la rame qui bourdonne en sourdine à quai. Des gens fument une cigarette avant de monter dans le train. Un homme entre deux âges vêtu d’un jean bon marché, ça se voit aux coutures grossières, à l’absence d’arcuate sur les poches arrières, au brillant des rivets.il a des espadrilles aux pieds comme un fantassin espagnol en Aragon ou encore un marseillais du vieux-port, les cheveux sont coupés courts, la barbe est drue de deux ou trois jours, la main noueuse aux phalanges exorbitées style Egon Schiele tient ferme les lanières d’un sac tube bleu modèle étanche sac semblable au mien sinon plus usé. Sans doute y trouverait on aussi des vêtements de rechange car c’est lundi et peut-être une gamelle. Un journal roulé dont je n’arrive pas à lire le titre dépasse d’une poche du sac. Poche dont mon modèle de sac ne dispose pas. Une femme fume à côté, la trentaine, plutôt jolie, la manche du faux cardigan est remontée pour qu’on puisse voir sa montre bracelet, peut-être en toc peut-être de marque; il y a des bagues à chaque doigt y compris le pouce de la main qui manipule nerveuse la cigarette, pas de trace de rouge à lèvres sur le filtre, en plus du faux cardigan un long manteau simili cuir ce qui a première vue convoque une impression d’élégance globale puis le regard glisse vers les chaussures, un des talons et plus usé que l’autre. Le regard remonte vers le visage, menton un peu carré, peau blanche, peut-être poudrée, lèvre supérieure un peu trop fine, narines pincées, faux-cils qui forment soudain un accord bizarre avec le vernis à ongle, et le révèle soudain, noir charbon et rouge brillant. Satisfaction d’avoir déjoué l’apparence de l’élégance en un clin d’œil. Pauvre la satisfaction car à cette heure du matin qui prend le train pour Paris. Ouvriers, employé(es) besogneux, banlieusards. Petit à petit le quai se peuple se densifie, se remplit le train long de six heure cinquante. A l’époque j’allume mon clope sans même y penser, j’arrive au bout au filtre et du bout du pied shoote le mégot qui voltige sur la voie. S’asseoir à une extrémité dans le sens de la marche pour voir. Le regard ainsi se pose sur chaque voyageur, le détaille, l’interroge, cherche la plupart du temps le tic, le toc, le défaut, la manie, l’insolite. L’absurdité d’un wagon remplit de voyageurs côtoie l’horreur de l’ordinaire d’un début de semaine de près, la talonne. Par exemple cet homme la cinquantaine, cheveux grisonnants l’air occupé, sérieux, pas commode, assit jambes grandes ouvertes marquant une virilité incontestable déplie en grand le Figaro devant lui. Se recroqueville un peu la petite dame âgée face à lui, ciré jaune, écharpe tricotée maison qui en profite pour lire les gros titres avec un je ne sais quoi de gourmandise dans les yeux plisses noirs et vifs. Personnages de James Ensor. Près d’elle un gamin, environ 8 ans colle son front contre la vitre. On voit la trace, l’empreinte, sur la poussière qui reste collée. Deux africains pénètrent dans le wagon, parlent fort, vêtus de boubous colorés des babouches en cuir jaune foncé aux pieds. L’un tient dans une énorme pogne un chapelet de perles de bois, l’autre a place un pouce dans la tranche d’un livre à couverture gris vert céladon.Ils parlent fort mais on ne comprend rien à ce qu’ils disent. L’ ambiance du compartiment s’en trouve changée. L’homme qui lit le Figaro les observe en se planquant, il tire une gueule faut voir. Deux petites rebeux, cheveux et sourcils épais très noirs, sacs avec strass, se montrent des trucs sur l’écran d’un téléphone mobile Elles rient en se moquant de quelqu’un, semblent très complices puis se mettent à parler fort, Gloussements, fébrilité, hystérie; devant elles assise une grande jeune fille noire très réservée, a sorti un livre une paire de lunettes son regard fixe obstinément le quai. Le train s’arrache doucement, prend de la vitesse, les odeurs se baladent, s’épousent se mélangent. Le wagon comme un cloaque, parfum bon marché, relents d’urine de merde, de tabac froid et de bonbon acidulé. L’homme assit en face de moi regarde le mur fixement. Le mur qui se tient derrière moi. Il ne cille pas. Je pose mon regard sur lui le dévisage mais il ne bronche pas. Une odeur de poussière, de rance, de vieux. Un peu plus bas sur son tee shirt une grosse tache probablement de graisse. Quelqu’un ouvre une fenêtre à la hauteur de Champigny. Il faut du courage pour ouvrir une fenêtre, c’est une femme, peut-être d’origine portugaise, cheveux bruns noués en chignon serré, un col boutonné jusqu’au menton, une petite croix en or au bout d’une chaînette par dessus se balance quand elle tire le carreau. L’air frais s’engouffre, le jour se lève, les tics commencent à s’accorder les uns avec les autres pour former un petit ballet chaque jour légèrement différent, jambe que l’on croise ou recroise, toussotements, reniflements, raclements de gorge, mouvements pendulaires de crâne, tapotements de doigts, pieds qui remuent, on se coiffe se décoiffe se recoiffe se gratte le cuir chevelu, on se tripote l’oreille, le cou, la barbe, on appuie de façon compulsive sur le bouton supérieur d’un stylo bille. À joinville une foule compacte attend sur le quai. Des spectres aux orbites vides. Vases communicants. Ceux qui descendent , ceux qui grimpent, cherchent un appui, une barre, un rempart, une poignée, le train repart dans un accoup brusque qui bouscule les êtres, un jeu de quilles. On se rattrape on s’excuse, ou pas, on ne se regarde surtout pas. Le RER arrive à Vincennes, c’est l’arrivée dans les tunnels les souterrains, sur les vitres, les reflets des regards encore, mais là aussi danger, échappatoire, même dans un reflet ne pas se croiser de regard. Le train vomit, degueule des cohortes de passagers, ils s’éloignent titubent, boitent claudiquent courent pour rejoindre qui un escalier qui l’escalator. Une femme énervée flanque une gifle à un gamin, c’est la vieille dame de tout à l’heure, ça doit être son petit fils, ils ont les yeux vides, on dirait bien qu’on est arrivé en enfer. Ce qui nous pousse à revivre matin et soir cet enfer, l’argent, les factures, l’idée du manque, l’habitude. gare de Lyon il y a toujours ce grand noir très maigre qui se tient accroupi en déplaçant des cailloux dans un recoin du quai. Personne ne semble y faire attention, il fait peur. Sa voix de temps à autre dépasse le brouhaha, il dit : « il y a trop de monde sur la terre suicidez vous, dépêchez-vous » et il éclate d’un rire dément quand nos regards se croisent, comme s’il n’y avait que lui et moi de vivant, que tous les autres ne soient plus rien que des ombres des fantômes.

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