
Un verbe important pour qui prétend vouloir dessiner et peindre. Hier en stage j’attire l’attention sur cette idée en désignant au delà des fenêtre et de la route le grand bâtiment, ancienne usine, désormais repartagée entre une association religieuse et une entreprise de sécurité. Sa façade très graphique notamment, des rainures verticales et horizontales avec au-dessus la répétition des obliques de la couverture bitumineuse. Des poutrelles de couleur bleue redivisent encore l’espace de la façade. Ce bleu est particulier, est-il clair, est-il intense, saturé ou pas ? la couleur ne cesse de changer plus on le regarde. Et ce changement impacte l’ensemble de la façade, le bâtiment entier, le paysage tout autour. Voir c’est une intention avant tout, puis une intensité, une fréquence, une intention de changer de fréquence. Passer de l’ordinaire à autre chose d’indéfinissable. Et c’est cet aspect indéfinissable que l’on doit malgré le risque qu’il nous échappe sans cesse tenter de trouver par la ligne, la couleur, la composition, l’ensemble de ces ingrédients. Est-ce affaire de technique, pas vraiment. En tous cas pas seulement. Bien sur il faut connaitre les couleurs sur le bout des doigts, savoir la quantité de jaune nécessaire – et quel jaune- pour atteindre le turquoise d’un bleu. Mais avant cela il faut voir ce bleu EN SOI , il est rarement visible à l’extérieur. L’habitude de voir à l’extérieur un bleu nous prive de sa réalité. Pour la retrouver il faut absorber ce bleu jusqu’à ce que l’on ferme les yeux pour enfin le tenir; ensuite on peut créer le mélange sur la palette; on sait ce que l’on cherche vraiment. On cherche une sensation de bleu on ne peut plus se tromper.
Ce qui empêche la plupart d’entre nous de voir est vraiment mystérieux. Les enfants voient et puis ensuite la pensée prend le dessus. La pensée c’est l’âge adulte, c’est cet aveuglement. Mais tout le monde a vu, tout le monde a été enfant, alors pourquoi cet oubli.
Hier lu l’occupation des sols de Jean Echenoz. Un court texte mais quelle histoire ! C’est difficile de lire Echenoz je ne m’en souvenais pas. Mais dès les premières lignes ça m’est revenu. Un état d’esprit à atteindre tout particulier comme pour voir un bleu. L’architecture des phrases, l’égarement soudain dans lequel on se retrouve après quelques lignes à peine. On irait chercher midi à quatorze heure, encore la pensée, l’intellect, mais il suffit de lire à haute voix pour saisir le pourquoi du comment. Retrouver quelque chose de l’enfance, surtout de la résistance associée pour moi à l’enfance.
Enchainement avec Ravel aussitôt, et je me retrouve soudain à Montfort l’Amaury. J’ai habité ici, pas très loin de l’Eglise, de ses vitraux classés. Mais quel est le nom de la rue, impossible de retrouver. J’ai ouvert Google Earth et je me suis promener dans les rues sans rien reconnaitre. combien de temps ai-je vécu là, pas plus d’une année, mais le temps suffisant tout de même pour refaire de fond en comble l’appartement que je louais dans cette vieille maison avec jardinet. Une panique soudaine de ne pas retrouver ce souvenir, cette adresse, cette rue. Puis je me calme c’était peu avant de déménager sur Lyon donc 1995, j’ai au moins ce repère de date. Mais tous les textes, les papiers administratifs, les photos, je me souviens que je les ai abandonnés plus tard dans une cave, en 2003, rue Henry Pensier, Lyon 8ème.
Je ne suis jamais allé chercher ces cartons, j’avais rendu les clefs de l’appartement à son propriétaire et c’était difficile de le recontacter par la suite, de dire j’ai oublié quelques cartons dans votre cave. Et aussi l’idée qu’il avait pu les ouvrir, lire certains textes, peut-être aussi tout jeter me rebutait. Peut-être n’avais-je pas envie de m’entendre dire qu’il les avait jetés. Et que les ayant laissés ainsi dans un doute si l’on veut, ils sont encore d’une certaine manière -enfantine ?- toujours à portée de main ou de mémoire. Mais leur accessibilité demande autre chose que de simplement les retrouver les ouvrir les explorer.
Il doit y avoir deux ou trois gros cartons pas plus. Pour le moment ils sont fermés avec du scotch dans l’obscurité d’une cave, certainement que tout ce qui relate mon histoire avec Montfort l’Amaury se trouve à l’intérieur de ces cartons. Est-ce que ça me manque ? Pas vraiment. Peut-être aussi qu’il faut accepter certaines pertes de mémoire comme une entreprise intègre les pertes ou les profits dans sa comptabilité.
Sauf qu’une comptabilité comptabilise, alors que moi j’en suis bien incapable la plupart du temps. Ce qui est d’ailleurs la source de nombreuses difficultés encore non résolues. tout à fait le genre de choses que je m’obstine- sans savoir pourquoi- à ne pas vouloir voir.
Il faut aussi cette folie ou cette sagesse de ne pas vouloir tout savoir du pourquoi ni du comment, comme il faut des mauvaises herbes sur les talus qui bordent les chemins.
L’infraordinaire, en fait… et Echenoz auquel j’avais pensé, l’autre jour, dans ma baignoire, avec son Ravel si bien orchestré…
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j’en suis à mi parcours, près la tournée américaine… du mal à le lâcher 😉
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Des cartons oubliés, ça m’angoisserait au max.
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il y a plus de 20 ans … prescription de l’angoisse
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Oh la mienne est plus tenace 😂
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